L'Express, 9 mars 2010
En novembre 2009, Patrick Ouart, alors conseiller du président, se plaint des attaques de l'homme d'affaire Alexandre Djouhri, très en vue dans l'entourage de Sarkozy. Retour sur un étrange incident.
Son cas - unique dans l'histoire pourtant tumultueuse de l'Elysée - divise les hommes du président. Alexandre Djouhri, influent mais imprévisible aventurier du négoce international, provoque des turbulences au plus haut sommet de l'Etat. Certains, sous le charme, vantent les mérites de cet apporteur d'affaires, proche de Nicolas Sarkozy et ami de Dominique de Villepin, partie prenante des grands marchés signés par la France ces dernières années. D'autres s'inquiètent au contraire de ses méthodes musclées, et appellent à la prudence. Une affaire aux relents de thriller politique a récemment renforcé leurs soupçons...
En novembre dernier, le conseiller de Nicolas Sarkozy pour les affaires judiciaires, Patrick Ouart, se retrouve malgré lui au coeur d'un étrange imbroglio. Ce magistrat au physique imposant et à la carrière bien remplie occupe une place prépondérante dans le dispositif présidentiel. Fidèle de Sarkozy depuis dix-sept ans, il a son mot à dire sur les nominations de tous les hauts magistrats français. Chargé de suivre les dossiers sensibles traités par la justice, il s'est notoirement opposé à Rachida Dati quand elle était garde des Sceaux, au point de passer pour le "ministre bis" de la Justice.
"Une balle ne peut pas le rater!"
A la fin de 2009, ce personnage tout en rondeurs reçoit un signal inquiétant. Un intermédiaire vient le trouver, et lui confie qu'Alexandre Djouhri aurait récemment lâché à son sujet cette sentence dénuée de toute ambiguïté: "Avec son format, une balle ne peut pas le rater!" Patrick Ouart prend la menace très au sérieux.
Visiblement affecté par cet épisode, il l'évoque dès le lendemain, lors de la traditionnelle réunion du matin à l'Elysée. Et dans la foulée, il rédige un rapport destiné au président de la République. "Une note velue", selon un autre conseiller qui croitsavoir que l'affaire s'est conclue par une convocation d'Alexandre Djouhri devant Nicolas Sarkozy. En tout cas, un haut fonctionnaire rappelle l'homme d'affaires à plus de circonspection...
Sa rancune à l'égard de Patrick Ouart trouve en fait son origine dans les coulisses d'un procès retentissant: celui de l'Angolagate, jugé au palais de justice de Paris du 6 octobre 2008 au 4 mars 2009. Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, surveille alors avec attention les péripéties du dossier. Les débats portent sur des ventes d'armes à l'Angola et sur les commissions versées à cette occasion, évaluées à plus de 790 millions de dollars. Les faits les plus anciens remontent à 1993 mais ils ont une résonance très actuelle: le pays figure parmi les plus gros producteurs de pétrole brut du continent. Et les sociétés françaises y sont très implantées.
Le régime de Luanda suit tout aussi attentivement que Claude Guéant les démêlés judiciaires d'un acteur clef du dossier, Pierre Falcone. En 2003, cet intermédiaire français a été nommé ambassadeur de l'Angola auprès de l'Unesco. Une manoeuvre manifestement destinée à le protéger juridiquement.
De manière très prosaïque, l'Elysée envisage tous les scénarios, y compris celui qui permettrait de sauver la mise de Falcone, le "protégé" des Angolais, en retirant la plainte du gouvernement. Ne pourrait-il pas, par exemple, bénéficier de l'immunité diplomatique? Patrick Ouart fait valoir ses réserves sur ce point, et sur l'ensemble du dossier. Il prévient que les preuves recueillies contre Falcone conduiront vraisemblablement à sa condamnation. Selon lui, toute tentative d'intervention de l'exécutif sur le tribunal ajouterait la "défaite au déshonneur". De son côté, l'homme d'affaires Alexandre Djouhri se dépense sans compter pour relayer les exigences angolaises, en particulier auprès de Claude Guéant.
En octobre 2009, le marchand d'armes, confiant, quitte la Chine, où il réside désormais, pour assister à son jugement devant le tribunal correctionnel de Paris. De toute évidence, il a obtenu l'assurance de n'être pas incarcéré. Mais, coup de théâtre, le 27 octobre, le président Jean-Baptiste Parlos annonce à un Falcone sonné sa condamnation à six ans d'emprisonnement et son arrestation à l'audience... Dès le 3 décembre, le parquet général tente une dernière démarche pour sauver le soldat Falcone en soutenant la demande de remise en liberté du condamné. En vain.
Ces décisions de justice provoquent des remous jusqu'à l'Elysée, où Patrick Ouart, désormais en opposition ouverte à Claude Guéant, refuse de s'occuper plus avant du dossier Falcone. L'attitude du conseiller aurait provoqué la fureur d'Alexandre Djouhri. En plus des menaces physiques, il aurait traité le magistrat de "raciste" et d'"Afrikaner", en référence aux partisans de l'apartheid en Afrique du Sud.
"Du pur délire! Il n'y a jamais eu de menaces, assure à L'Express l'avocat d'Alexandre Djouhri, Me Pierre Cornut-Gentille. Ces rumeurs servent avant tout à régler des comptes. Alexandre Djouhri a toujours cherché à préserver des intérêts nationaux et non les intérêts particuliers." Malgré ce démenti et le départ de Patrick Ouart, revenu au groupe de luxe LVMH en janvier dernier, le malaise est loin d'être dissipé. Beaucoup s'interrogent sur la place grandissante prise par "M. Alexandre" à l'Elysée.
mardi 9 mars 2010
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