lundi 6 décembre 2010

Alexandre et Jean-Noël Guérini, les frères de la côte

lejdd.fr, 4 décembre 2010

D’origine modeste, corses et autodidactes, les deux gamins du Panier disent avoir construit leurs carrières en parallèle. Politique et affaires jamais mêlées…

"Avez-vous lu Les Frères corses, d’Alexandre Dumas? Un livre magnifique, tout y est dit sur la fratrie et la corsitude." Un sourire, une allusion littéraire, et voilà une élégante façon de botter en touche. Prudence politique oblige, ne comptez pas sur Michel Pezet, conseiller général (PS) et éminent avocat marseillais, pour spéculer sur le degré d’intimité des frères Guérini. C’est vrai qu’elle est romanesque à souhait, l’histoire de Jean-Noël et Alexandre, les deux gamins du Panier, le fief corse de Marseille; l’histoire de cette formidable ascension politique de l’aîné, sénateur et président (PS) du conseil général des Bouches-du-Rhône, jusqu’à la retentissante chute du cadet, l’homme d’affaires spécialisé dans le traitement des déchets, aux comptes (trop?) florissants, qui dort depuis mercredi dans une cellule de la prison de Luynes.

"Mon frère est mon frère et le demeurera toujours. Mais lui c’est lui, et moi c’est moi." Jean-Noël, 59 ans, a beau proclamer ces jours-ci, la main sur le cœur, qu’il ne savait rien des affaires de son cadet, et protester contre ce qu’il dénonce être un "lynchage médiatique", beaucoup se demandent à Marseille jusqu’où allait la solidarité familiale chez les Guérini. "Alex était partout. On le surnommait 'Monsieur Frère'. Il était dans l’ombre de son aîné Jean-Noël au conseil général, au Parti socialiste, à la communauté urbaine de Marseille. Comment imaginer que l’un puisse ignorer les agissements de l’autre?" s’indigne Renaud Muselier, l’élu UMP qui avait été le premier à dénoncer un "système", en novembre 2009, alors que les ennuis judiciaires d’Alexandre commençaient.
"Biberonnés au système de l’entraide familiale et communautaire"

"Ils sont proches, bien sûr, mais simplement comme peuvent l’être deux frères qui n’ont plus d’autre famille que l’un et l’autre", les défend Samia Ghali, sénateur-maire (PS) des 15e et 16e arrondissements marseillais. L’élue ne fait pas mystère de son amitié pour les deux hommes. Autodidactes, ils ont dû, comme elle, encaisser le mépris d’une certaine bourgeoisie marseillaise, moquant volontiers les origines modestes et l’accent prononcé des deux petits-fils d’agriculteurs corses, originaires de Calenzana, un village de Balagne.

La famille est arrivée en 1956 sur le continent, sur la promesse d’un emploi à l’office d’HLM pour le père et d’un petit appartement à loyer modéré près de la plage des Catalans; tous deux assurés par l’oncle Jean-François Guérini, une figure marseillaise, ancien résistant déporté et élu SFIO du canton du Panier. "Biberonnés au système de l’entraide familiale et communautaire, note un compagnon de route de Jean-Noël, les deux frères se sont soutenus l’un l’autre au gré de leur parcours, une solidarité clanique fondamentale quand on veut comprendre une ville d’immigration comme Marseille."
Alexandre "était partout"

Même rompu au clientélisme communautaire, le Tout-Marseille n’a pas attendu l’incarcération d’Alexandre pour jaser sur son étrange "omniprésence". " Sans mandat politique, ni fonction officielle, il était partout. Il était installé dans les meubles, dans les murs et même dans le bureau de Jean-Noël", raconte un haut fonctionnaire de la mairie. Où l’on retrouve une société d’Alexandre en contrat avec l’office d’HLM, que Jean-Noël présidait à partir de 1987. Où l’on croise Alexandre président de la commission d’attribution des cartes de la fédération du PS au moment où Jean-Noël verrouille les sections, à partir de 2000. Où l’on voit aussi, en 2009, Alexandre recruter lui-même, sans mandat d’aucune sorte, le directeur général adjoint de la propreté à la communauté urbaine de Marseille que vient d’emporter la gauche.

Tous deux en couple depuis vingt ans (Jean-Noël est marié à une avocate d’origine parisienne, Alexandre vit et travaille avec sa compagne, Jeannie Peretti, également mise en examen par le juge Duchaine), les deux frères partagent une vague ressemblance physique, rendue ténue par leur différence de style. "Alexandre cultive le côté un peu 'cacou', comme on dit ici", sourit Michel Pezet. Jean et blouson de cuir, l’homme aurait aussi le verbe haut et l’insulte facile.

Toujours en costume cravate, Jean-Noël, lui, est décrit par tous comme "un homme qui a l’emphase spontanée", "un gros bosseur qui mange ses notes". Un élu socialiste glisse que "Jean-Noël est aussi capable de colères homériques, à tel point qu’il a toujours préféré laisser son frère jouer le rôle de serre-file au PS".

Marseille: La chute du cadet des Guérini

lejdd.fr, 4 décembre 2010

En prison depuis mercredi dernier, le frère du président du conseil général des Bouches-du-Rhône a fait appel vendredi de son placement en détention. Il est soupçonné de détournement de fonds et de corruption.

Ce dimanche, Lord du Sud a été vendu à Deauville. Le propriétaire de cet étalon, Alexandre Guérini, n' a pas assisté à cette vente, ni à celle des foals et yearlings qu’il cède en même temps: il est incarcéré à la maison d’arrêt de Luynes, près d’Aix-en-Provence.

Interpellé lundi dernier, le frère cadet du patron du conseil général et du PS des Bouches-du-Rhône a été placé en détention provisoire mercredi soir. Il venait d’être mis en examen pour "abus de biens sociaux, détournement de fonds et de biens publics, recel, corruption active, trafic d’influence et détention de munitions".

En bloc, il "conteste toute implication dans les faits qui lui sont reprochés", indique Emmanuel Molina, un de ses avocats. Et parce qu’il juge son placement en détention provisoire "particulièrement injustifié", il a fait appel de cette mesure vendredi après-midi.

Dans le cadre de son enquête sur des fraudes présumées dans l’attribution et l’exploitation de marchés publics, le juge Charles Duchaine a entendu cette semaine 19 autres personnes, dont six ont été mises en examen: la compagne d’Alexandre Guérini, un de ses associés et des fonctionnaires des agglomérations d’Aubagne et de Marseille.

"Coup politique" ou "opération mains propres"?

Sur le Vieux Port, la gauche a dénoncé "un coup politique" et la droite a applaudi le début d’une "opération mains propres". Mais pour Me Florence Rault, autre conseil du patron de décharges, "le juge va avoir un mal fou à établir les infractions qu’il impute à mon client. En entretenant fantasmes et amalgames, il continue à faire fausse route".

Qu’est-il exactement reproché à Alexandre Guérini? Via ses sociétés SMA Environnement et SMA Vautubière, des tricheries sur les pesées de déchets; le traitement de "déchets privés" grâce à des fonds alloués pour traiter des "déchets publics"; des surfacturations et le recours à des sous-traitants proches du grand banditisme (d’où les suspicions de blanchiment).

Les enquêteurs le soupçonnent aussi d’avoir utilisé son influence acquise en tant que "frère de" pour procurer des logements HLM à des "amis"… et pour faciliter l’obtention de certains marchés publics – déchets, photocopieurs, peut-être aussi transports et maisons de retraite – organisés par des institutions où le poids politique de son frère est grand. A chaque fois, son nom aurait constitué un efficace sauf-conduit.

Son omniprésence à la communauté urbaine intrigue

Son omniprésence à la communauté urbaine de Marseille, enfin, intrigue. Il n’y dispose d’aucun mandat officiel, mais selon plusieurs témoignages, il aurait développé une certaine emprise sur des élus et des fonctionnaires, fondée sur un mélange d’intimidation, de charme et de contreparties.

Le président de cette institution, Eugène Caselli (un proche de Jean-Noël Guérini), a d’ailleurs reconnu cette semaine auprès de nos confrères de La Provence qu’Alexandre Guérini était "très présent" au sein de Marseille Provence Métropole (MPM), même si, précise-t-il mystérieusement, "cela ne se faisait pas dans nos locaux".

Témoin direct de diverses manœuvres, un membre de la commission d’appel d’offres de MPM, l’élu (UMP) Xavier Cachard décrit aujourd’hui au JDD les étranges conditions dans lesquelles se sont déroulées des attributions de marchés publics consacrés au nettoyage et à la collecte de déchets: "Il fallait retenir le candidat le plus cher et le moins performant", raconte-t-il, encore estomaqué. Au siège de la communauté urbaine, Alexandre Guérini pouvait compter sur un relais: Michel Karabadjakian.

Directeur de la propreté à MPM, il a été mis en examen pour "trafic d’influence" et "corruption passive" par le juge Duchaine. Devant les gendarmes de la cellule "Déchets 13", il avait expliqué qu’il n’avait pas été recruté par Eugène Caselli mais par le cadet des Guérini, avant de faire en sorte que les sociétés de son choix soient avantagées. "M. Karabadjakian était reconnaissant à Alexandre Guérini de l’avoir proposé à ce poste, avance son avocat, Michel Pezet; 7.200 euros par mois, c’était une position intéressante. Alors, c’est vrai, il s’est ensuite un peu laissé faire au niveau des sollicitations."

Chirac, un bakchich refait surface

Libération, 6 décembre 2010

L’intermédiaire Takieddine a été dédommagé secrètement en 1997 par Rafic Hariri, ami de l’ex-président, pour abandonner ses commissions dans la vente de frégates à l’Arabie Saoudite.

Partie de l’affaire Karachi, l’enquête sur les marchés d’armement des années 90 va-t-elle conduire à une nouvelle affaire Chirac ? Le juge Renaud Van Ruymbeke vient de demander au parquet d’étendre ses investigations à la vente des frégates Sawari 2 à l’Arabie Saoudite.

Libération, 6 décembre 2010

Voir aussi

- Karachi: Le mémorandum secret, lejdd.fr, 5 décembre 2010

- Karachi: Takieddine attaque Villepin et Millon, Europe 1, 5 décembre 2010

- Karachi : Qui faut-il croire Villepin, Takieddine ou Sarkozy…?, agoravox.fr

- Nouvelle information judiciaire sur le dossier Karachi, nouvelobs.com, 23 novembre 2010

- La contre-attaque de Ziad Takieddine, "l'intermédiaire", lexpress.fr, 30 mai 2010

mercredi 1 décembre 2010

Le trésor saoudien des balladuriens

Le Point, 1er décembre 2010 Par Hervé Gattegno

En 1997, Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont empêché deux intermédiaires de percevoir une faramineuse commission occulte de près de 2 milliards de francs parce qu'ils les soupçonnaient d'être liés au financement du camp balladurien.

Déjà apparus dans l'enquête sur l'affaire de l'attentat de Karachi, les deux hommes - le Libanais Ziad Takieddine et le Syrien Abdul Rahman el-Assir - devaient recevoir un pourcentage sur quatre contrats d'armement signés avec l'Arabie saoudite sous le gouvernement Édouard Balladur (1993-1995).

Parmi ces marchés figure le contrat Sawari 2, qui prévoyait la livraison de frégates armées au royaume saoudien, pour un montant d'environ 19 milliards de francs (2,9 milliards d'euros).

Les documents publiés par Le Point révèlent que les deux hommes d'affaires, déjà imposés par le cabinet de François Léotard sur le contrat de vente des sous-marins Agosta au Pakistan et désignés sous l'appellation "réseau K", ont finalement renoncé à leurs prétentions financières sur les contrats saoudiens.

Une lettre du P-DG de la Sofresa, la structure d'État chargée du suivi des grands contrats avec l'Arabie saoudite (aujourd'hui rebaptisée Odas), datée du 3 mars 1997 et adressée au prince Sultan bin Abdulaziz, ministre de la Défense de ce pays, livre le détail des commissions prévues. Le tableau joint à ce courrier atteste que, avant le feu rouge de l'Élysée, les intermédiaires avaient néanmoins déjà encaissé plus de 50 millions d'euros. L'enquête a déjà établi par ailleurs qu'ils avaient touché 33 millions d'euros sur la vente des sous-marins au Pakistan.

Les "très forts soupçons" de Villepin

Après l'élection présidentielle de 1995, les chiraquiens considéraient que cette somme pouvait être destinée à des financements politiques de leurs rivaux. Leurs soupçons visaient principalement l'entourage d'Édouard Balladur, l'ancien ministre de la Défense François Léotard et son principal conseiller, Renaud Donnedieu de Vabres.

Interrogé par le juge Renaud Van Ruymbeke, Dominique de Villepin, ancien secrétaire général de l'Élysée, a confirmé l'existence de "très forts soupçons de commissions illégitimes, voire de rétrocommissions" sur les contrats pakistanais et saoudiens, tout en affirmant que les enquêtes effectuées à l'époque par la DGSE n'avaient apporté "aucune preuve formelle".

Il a cependant indiqué que les écoutes téléphoniques de plusieurs proches de François Léotard avaient montré que des liens directs existaient entre les intermédiaires et des personnalités politiques.

"Dans les noms évoqués, il y avait à la fois des ministres et des membres de l'entourage des ministres", a-t-il déclaré, sans en citer aucun.

Le juge Van Ruymbeke, chargé de l'enquête financière sur les dessous de l'attentat de Karachi, a demandé au parquet de Paris, en fin de semaine dernière, d'élargir sa saisine à d'éventuelles infractions liées au contrat Sawari 2.

Dans une ordonnance de soit-communiqué datée du 26 novembre 2010 - dont le site Mediapart publie des extraits -, le magistrat évoque des "éléments nouveaux" issus des dépositions de l'ancien ministre Charles Millon, de l'ex-P-DG de la Sofresa, Michel Mazens, de Dominique de Villepin et de deux cadres dirigeants de DCN, le constructeur des navires.