mercredi 3 mars 2010

Le gouvernement soupçonné de vouloir étouffer les dossiers politico-financiers

Le Monde, 3 mars 2010

C'est un article qui jette un doute sérieux sur la communication de la chancellerie à propos de la réforme de la procédure pénale. Alors que la ministre de la justice et des libertés, Michèle Alliot-Marie, reçoit magistrats et avocats pour leur promettre qu'aucune affaire ne sera étouffée, l'avant-projet de loi ressort l'idée d'une réforme du régime de prescription des abus de biens sociaux, qui constitue un chiffon rouge depuis plusieurs années.

De l'affaire Elf à l'Angolagate, plusieurs dirigeants d'entreprises et des hommes politiques ont été condamnés ou sont mis en examen pour des abus de confiance, des abus de biens sociaux ou des recels d'abus de biens sociaux - soit des infractions qui répriment le détournement, à des fins personnelles, des crédits ou biens d'une société. Parmi des cas récents : Charles Pasqua, Jean-Charles Marchiani, Gaston Flosse ou des dirigeants de société comme Casino ou Vinci.

La particularité de ces affaires vient du fait qu'il s'agit de délits dissimulés, qui sont souvent portés à la connaissance de la justice à la fin du mandat d'un dirigeant de société ou d'un homme politique.

C'est pour cette raison que la Cour de cassation a imposé une jurisprudence qui fait partir les délais de prescription au moment où les faits ont été révélés. Le projet de loi, au contraire, fait partir la prescription "à compter du jour où l'infraction a été commise, quelle que soit la date à laquelle elle a été constatée".

En contrepartie, la chancellerie propose d'allonger, de trois à six ans, les délais de prescription des délits passibles d'au moins cinq ans de prison.

"Nous proposons de doubler les délais de prescription pour les délits de banqueroute, corruption, escroquerie, faux et usage de faux. Nous ne cherchons pas à enterrer les affaires", explique Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la justice.

"Pour les abus de biens sociaux, nous inscrivons dans la loi des règles claires sur le point de départ de la prescription qui apporte une sécurité juridique, par rapport à la jurisprudence", poursuit-il.

De l'amendement de Pierre Mazeaud, en 1995, au rapport du magistrat Jean-Marie Coulon sur la dépénalisation des affaires, en 2008, la majorité a fait plusieurs tentatives pour modifier le régime de prescription. Le rapport Coulon fixait le délai de prescription à sept ans.

"Nous avions choisi ce délai parce que nos recherches montraient qu'il n'y avait pratiquement pas de cas qui allaient au-delà des sept ans", explique M. Coulon.

Le jour de la remise du rapport, la Cour de cassation examinait les pourvois de l'ancien préfet Jean-Charles Marchiani, condamné pour recel d'abus de biens sociaux pour des faits commis de 1991 à 1994, mais révélés en 2002.

L'avocat général avait relevé : "Si l'on avait appliqué les recommandations de la commission Coulon, on aurait dû jeter ce dossier à la poubelle judiciaire."

"Mettre un butoir n'est pas anormal en soi, explique le juge d'instruction financier, Renaud Van Ruymbeke, on ne peut pas faire de l'archéologie judiciaire. Mais six ans, c'est court, surtout pour des affaires qui nécessitent des vérifications à l'étranger."

Dans l'affaire des frégates de Taïwan, l'instruction a été ouverte en 2001, alors que ce marché d'armement a été conclu en 1991.

"Avec ce nouveau régime de prescription, on aurait pu poursuivre que les derniers paiements de rétrocommissions, sans pouvoir remonter à l'origine."

Le nouveau régime ne concerne pas que les délits importants. Juge d'instruction à Arras, Virginie Valton, membre de l'Union syndicale des magistrats, cite le cas d'un homme qui s'est constitué partie civile pour abus de confiance. Il avait découvert, des années après, que son tuteur ne lui avait jamais restitué l'argent de ses parents à sa majorité.

"La suppression du juge d'instruction nous inquiète car les affaires financières ont souvent une coloration politique, explique la présidente de l'Association des actionnaires minoritaires, Colette Neuville. On est en train de supprimer le juge indépendant sur la ligne d'arrivée. Voilà qu'on nous supprime le point de départ avec la réforme de la prescription !"

Alain Salles

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