Le Point, 1er décembre 2010 Par Hervé Gattegno
En 1997, Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont empêché deux intermédiaires de percevoir une faramineuse commission occulte de près de 2 milliards de francs parce qu'ils les soupçonnaient d'être liés au financement du camp balladurien.
Déjà apparus dans l'enquête sur l'affaire de l'attentat de Karachi, les deux hommes - le Libanais Ziad Takieddine et le Syrien Abdul Rahman el-Assir - devaient recevoir un pourcentage sur quatre contrats d'armement signés avec l'Arabie saoudite sous le gouvernement Édouard Balladur (1993-1995).
Parmi ces marchés figure le contrat Sawari 2, qui prévoyait la livraison de frégates armées au royaume saoudien, pour un montant d'environ 19 milliards de francs (2,9 milliards d'euros).
Les documents publiés par Le Point révèlent que les deux hommes d'affaires, déjà imposés par le cabinet de François Léotard sur le contrat de vente des sous-marins Agosta au Pakistan et désignés sous l'appellation "réseau K", ont finalement renoncé à leurs prétentions financières sur les contrats saoudiens.
Une lettre du P-DG de la Sofresa, la structure d'État chargée du suivi des grands contrats avec l'Arabie saoudite (aujourd'hui rebaptisée Odas), datée du 3 mars 1997 et adressée au prince Sultan bin Abdulaziz, ministre de la Défense de ce pays, livre le détail des commissions prévues. Le tableau joint à ce courrier atteste que, avant le feu rouge de l'Élysée, les intermédiaires avaient néanmoins déjà encaissé plus de 50 millions d'euros. L'enquête a déjà établi par ailleurs qu'ils avaient touché 33 millions d'euros sur la vente des sous-marins au Pakistan.
Les "très forts soupçons" de Villepin
Après l'élection présidentielle de 1995, les chiraquiens considéraient que cette somme pouvait être destinée à des financements politiques de leurs rivaux. Leurs soupçons visaient principalement l'entourage d'Édouard Balladur, l'ancien ministre de la Défense François Léotard et son principal conseiller, Renaud Donnedieu de Vabres.
Interrogé par le juge Renaud Van Ruymbeke, Dominique de Villepin, ancien secrétaire général de l'Élysée, a confirmé l'existence de "très forts soupçons de commissions illégitimes, voire de rétrocommissions" sur les contrats pakistanais et saoudiens, tout en affirmant que les enquêtes effectuées à l'époque par la DGSE n'avaient apporté "aucune preuve formelle".
Il a cependant indiqué que les écoutes téléphoniques de plusieurs proches de François Léotard avaient montré que des liens directs existaient entre les intermédiaires et des personnalités politiques.
"Dans les noms évoqués, il y avait à la fois des ministres et des membres de l'entourage des ministres", a-t-il déclaré, sans en citer aucun.
Le juge Van Ruymbeke, chargé de l'enquête financière sur les dessous de l'attentat de Karachi, a demandé au parquet de Paris, en fin de semaine dernière, d'élargir sa saisine à d'éventuelles infractions liées au contrat Sawari 2.
Dans une ordonnance de soit-communiqué datée du 26 novembre 2010 - dont le site Mediapart publie des extraits -, le magistrat évoque des "éléments nouveaux" issus des dépositions de l'ancien ministre Charles Millon, de l'ex-P-DG de la Sofresa, Michel Mazens, de Dominique de Villepin et de deux cadres dirigeants de DCN, le constructeur des navires.
mercredi 1 décembre 2010
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