Laurent Valdiguié - Le Journal du Dimanche - Samedi 24 Octobre 2009
Le JDD révèle cinq longues auditions, jusque-là secrètes. Cent sept pages de procès-verbaux signées de la main de l’ancien président de la République. Jacques Chirac, mis en examen pour détournement de fonds publics, a été entendu à cinq reprises par la juge Xavière Simeoni, entre le 21 novembre 2007 et le 3 juillet 2008. Un récit au cas par cas.
Première audition: le système
8 h 25, ce 21 novembre 2007. Jacques Chirac a quitté l’Elysée depuis le printemps. Pour commencer, il est interrogé sur le fonctionnement de son cabinet. "Le Maire de Paris est un maire qui est à la tête d’une administration très importante constituée d’environ 40 000 agents et qui gère un budget de l’ordre de 5 milliards d’euros… Il est exact que lorsque je suis arrivé à la tête de l’hôtel de ville de Paris, la situation que j’y ai trouvée était une situation un peu curieuse puisqu’il s’agissait d’une administration dirigée par un préfet… Je dois dire que cela ne correspondait pas tout à fait à l’idée que l’on peut se faire aujourd’hui de la démocratie." La juge l’interroge sur ses différentes fonctions : "Je souligne que je suis quelqu’un qui a toujours énormément travaillé, sans prendre de vacances ni même de jours de repos", se défend Jacques Chirac. Interrogé sur les déclarations de l’ancien directeur du personnel, Georges Quémar, et sur le "système des emplois fictifs", le Président se dit "étonné de telles déclarations". "Les chargés de mission plus particulièrement affectés à mon cabinet poursuivaient l’objectif de participer à la direction des grandes administrations de la ville… Il s’agissait de gens compétents, motivés, politiquement de la même famille que celle du maire." D’entrée de jeu, Jacques Chirac dit "assumer la totale responsabilité de ces recrutements".
Deuxième audition: la mécanique
Cette fois-ci, la juge décortique les embauches de cabinet. "Il n’y avait pas de règles générales qui présidaient au recrutement de ces chargés de mission", se défend d’abord Jacques Chirac. Xavière Simeoni lui lit les déclarations de Jean-Paul Garotte, l’agent administratif spécialement chargé des contrats litigieux. "Au départ, en 1997, il y avait 18 chargés de mission… et lorsque j’ai cessé mes fonctions fin 1999, il y en avait 699, toutes catégories confondues." "Etiez-vous au courant de cette procédure ? interroge la magistrate. – Je n’étais pas au courant sur le plan pratique de la procédure… Je dois dire que je n’ai jamais eu affaire à cette personne", répond l’ancien maire. "Comment interprétez-vous les termes d’une conversation rapportée par Garotte au cours de laquelle Michel Roussin lui aurait dit “Garotte, les dossiers que vous avez, c’est de la dynamite” ? questionne Xavière Simeoni. – Je connais bien Michel Roussin et je le vois mal utiliser une telle expression… De plus, je vois mal pourquoi cet agent d’exécution aurait pu détenir des dossiers contenant de la dynamite", réplique l’ancien Président. Autre interrogation, la raison pour laquelle des dossiers administratifs auraient été détruits : "J’ai compris que ces dossiers auraient été expurgés après mon départ de la mairie de Paris… je n’ai évidemment donné aucune instruction à cet égard", réagit-il. Interrogé aussi sur les dysfonctionnements repérés par la chambre régionale des comptes (103 agents en 1994 alors que la loi permettait le recrutement maximum de 33 collaborateurs), l’ancien maire dit "en prendre connaissance". Tout comme il découvre que de 1983 à 1998 le préfet n’avait exercé aucun contrôle de légalité sur ces emplois. "Je ne savais pas, je ne peux donc en expliquer les raisons", s’excuse-t-il. Fin de l’entrée en matière.
Troisième audition: la Corrèze et "Réussir l’an 2000"
Après avoir campé le décor, la juge entre dans l’examen au cas par cas. Deux thèmes à l’ordre du jour : les Corréziens et les cinq chargés de mission de la cellule "Réussir l’an 2000", que les enquêteurs soupçonnent en fait d’avoir travaillé au QG de Jacques Chirac pour la présidentielle de 1995. L’ancien maire commence par une déclaration spontanée : "Pour des faits datant de vingt ans et plus, les souvenirs et les témoignages ne peuvent, en effet, être qu’incertains. Nul ne pourrait s’étonner que je puisse avoir, après toutes ces années au cours desquelles j’ai été accaparé par tant d’autres préoccupations, que de vagues souvenirs sur la situation de ces personnes." Concernant la "cellule corrézienne", la juge entame par le cas de Jean-Marie Roche, qui était affecté à la permanence du député Chirac à Ussel. "Il pouvait, mieux que personne, faire le tri entre les demandes plus ou moins sérieuses adressées par les Corréziens au maire de Paris, se défend le mis en examen. Je dois signaler que j’avais clairement exposé un principe selon lequel les demandes des Corréziens ne devaient pas faire l’objet d’un traitement privilégié", insiste-t-il. Coût de l’emploi pour la ville : 244 000 eiros. "Il semble que cette collaboration était plus utile au député qu’au maire", remarque la juge. Jacques Chirac n’a en revanche "aucun souvenir" d’un emploi mis à la disposition du député de Corrèze Raymond-Max Aubert, ou d’un salaire pour André Vidal, maire de Soussac. Pour une autre chargée de mission corrézienne, il indique qu’il s’agissait "d’une fille intelligente" : "J’ai estimé qu’elle pouvait fournir un travail utile de synthèse du nombre important de livres que je recevais." Interrogé sur les cinq emplois affectés au siège de l’association "Réussir l’an 2000", boulevard Saint-Germain, Jacques Chirac n’en garde "aucun souvenir". Montant des salaires : 381 000 euros. "Il n’y avait rien d’anormal sans que cela nuise à l’accomplissement de leur mission pour la ville qu’ils participent aux travaux de cette association", se défend-il.
Quatrième audition: Le CNI et les associations diverses
Quinze emplois présumés fictifs au programme. La ville a salarié six permanents du CNI, le Centre national des indépendants, un parti politique proche du RPR, pour un montant de 458 000 euros. "Je prends acte de l’état de l’enquête, réagit Jacques Chirac. J’en revendique totalement la responsabilité. Pour des raisons politiques, j’avais besoin derrière moi d’un CNI qui soit ferme et je considère que cela relève exclusivement de l’appréciation du maire de Paris." La juge passe ensuite à neuf chargés de mission affectés à des associations, comme le Club 89 ("une association respectable", commente Chirac), l’association "Sécurité et paix publique", ("Cette association ne me dit absolument rien"), "l’Institut pour la démocratie", ("Cela paraissait être la vocation de la ville"). "Pas de souvenir", déclare-t-il. En revanche, l’ancien Président revendique l’emploi de Pierre Figeac à la tête de l’Association internationale des maires francophones, "l’agence de coopération de la Ville de Paris", précise-t-il. Il assume aussi l’emploi d’un garde du corps de Marc Blondel, le patron de FO (qui a remboursé depuis), mais ne se souvient pas d’Hubert Chavelet, un proche de Gaston Flosse, qui percevait 3.800 euros mensuels, pour animer une association dans le Pacifique Sud : "Je ne peux pas dire qui avait demandé son recrutement… A ma connaissance, Gaston Flosse n’est pas intervenu." Montant total de tous ces salaires pour la ville : 931 000 euros.
Cinquième audition: les collaborateurs d’élus et les proches
Dix-sept contrats au menu, prévient la juge, dont "dix affectés à des élus", "trois paraissant être des purs emplois de complaisance" et "deux attribués à des sportifs". Pour la première catégorie, Jacques Chirac doit s’expliquer sur les trois collaborateurs payés à Jean de Gaulle, député des Deux-Sèvres, dont "un nègre" chargé de lui rédiger des discours. Chirac ne connaît pas les personnes, mais "avait beaucoup d’amitié et d’estime" pour le parent du Général. "Jean de Gaulle a été conseillé pour les affaires africaines", précise-t-il. Pour d’autres collaborateurs de députés ou d’anciens élus RPR, le maire "prend acte". Plus gênant, l’emploi d’un chauffeur pour Lucien Lanier, ancien préfet devenu sénateur du Val-de-Marne. Les enquêteurs ont retrouvé son contrat, signé de la main du maire de Paris. "Il s’agissait d’une coutume… La tradition voulait qu’un ancien préfet bénéficie d’un chauffeur", explique le signataire. Autre emploi, celui d’un proche de Brice Lalonde, Yves Manciet : "Il était mon agent de liaison avec les Verts non radicaux", détaille Chirac. Gênants aussi les 442 000 euros versés à Mme Poujade, l’épouse du maire de Dijon, qui a admis n’avoir jamais mis les pieds à la mairie. "Il s’agissait d’une femme très brillante qui a été pour moi une collaboratrice très efficace dans le domaine de l’éducation", avance le mis en examen. L’enquête a pourtant établi qu’elle avait des problèmes de santé… François Debré, lors de l’enquête, a admis "quelques rapports verbaux" justifiant son salaire. "Ses liens avec la communauté asiatique étaient très importants et très utiles à la mairie de Paris, expose Jacques Chirac. Je pense que les propos qu’il a pu tenir sur son emploi n’étaient pas dénués d’un esprit provocateur", ajoute-t-il. L’épouse de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mme de Charette, a elle aussi eu beaucoup de mal à justifier son double contrat, à la Ville et au département de Paris. "Je suis stupéfait et choqué de cette situation", relève le maire, qui n’en a pas gardé de "souvenir". Chirac maintient en revanche l’utilité de l’embauche d’assistants pour les deux sportifs, comme celui mis à disposition de Jeannie Longo. Sommes totales évoquées ce jour-là : 2,2 millions d’euros. Au moment de conclure, Jacques Chirac assure "assumer la responsabilité de ces recrutements, même si, pour la plupart d’entre eux, je ne les connaissais pas". Sommes en jeu, pour les 35 emplois évoqués : 3,5 millions d’euros.
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