Libération, 8 octobre 2010, Par GUILLAUME DASQUIÉ
Affaire de Karachi . Le juge Van Ruymbecke veut enquêter sur les 10 millions de francs versés sur les comptes du candidat en 1995.
Le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke a annoncé hier son intention d’enquêter sur le financement de la campagne électorale du candidat Edouard Balladur en 1995. Dans une ordonnance de sept pages, dont nous avons eu copie, le juge révèle notamment qu’à l’époque les rapporteurs du Conseil constitutionnel avaient préconisé «le rejet des comptes».
Ils ont été finalement validés. Pourtant, les rapporteurs s’interrogeaient sur dix millions de francs versés en liquide, dont Libération avait révélé l’existence en avril. Selon Renaud Van Ruymbeke, les rapporteurs estimaient que «l’allégation du candidat» sur l’origine de ces 10 millions était «à l’évidence démentie par le fonctionnement du compte».
Sous-marins. Renaud Van Ruymbeke a donc l’intention d’enquêter sur d’éventuels «faits de corruption active et passive». Mais le parquet s’y oppose, et va faire appel de l’ordonnance du juge. La chambre de l’instruction de la cour d’appel tranchera ce différend dans les trois mois.
Ce nouveau développement fait suite aux découvertes de nature financière réalisées dans l’enquête sur l’attaque terroriste du 8 mai 2002, ayant tué 11 salariés français à Karachi, tous expatriés sur place pour livrer trois sous-marins à la marine pakistanaise. L’arrêt du versement de commissions sur la vente de ces sous-marins pourrait être à l’origine de l’attentat. Ces commissions ont été stoppées par Jacques Chirac après son arrivée au pouvoir en 1995. Elles pourraient avoir donné lieu à des rétrocommissions pour financer la campagne d’Edouard Balladur. A ce jour, le lien de causalité n’est pas démontré entre l’attentat et les éventuels versements.
Mais la mise en évidence de mouvements bancaires susceptibles d’avoir rempli les caisses du candidat a entraîné un premier dépôt de plainte de la part des familles des victimes, au mois de décembre 2009, notamment pour corruption. Et déclenché une enquête préliminaire.
Celle-ci, confiée à la brigade centrale de lutte contre la corruption basée à Nanterre (Hauts-de-Seine), a profité, selon nos informations, des explications que lui a apportées Emmanuel Aris, le coordonnateur des commissions versées par le fabricant des sous-marins. Mais aussi des éclaircissements d’Amir Lodhi, principal intermédiaire pakistanais, installé à Monaco, dont l’appartement de l’avenue Foch à Paris a été perquisitionné. La brigade a placé sous scellés plusieurs pièces comptables archivées au Conseil constitutionnel et relatives au financement de la campagne Balladur.
Dans ces documents, les enquêteurs se sont intéressés à une série de chèques importants enregistrés sur son compte de campagne, mais aussi au fameux dépôt de 10 millions. «Le candidat ne sait manifestement pas quelle argumentation opposer» aux questions sur ces 10 millions, relevaient les rapporteurs du Conseil constitutionnel, selon un extrait de leur rapport lu hier par l’avocat des familles des victimes, Me Olivier Morice. «L’origine» de cette somme «n’est accompagnée d’aucun commencement de preuve», ajoutaient-ils.
Audit. Sans les procédures pénales en cours, rien n’aurait permis de connaître les conclusions de cet audit. Les sages du Conseil constitutionnel n’étaient pas tenus de s’y conformer. Comme nous l’a confirmé Noëlle Lenoir, l’une des neuf membres du Conseil qui a validé le 11 octobre 1995 les comptes de campagnes d’Edouard Balladur.
Quant à son trésorier de l’époque, René Galy-Dejean, il se montre pour l’heure avare d’explications. «Je ne savais pas tout ce qui se passait. Cependant, je ne connais pas de zone d’ombre dans ce que j’ai vécu. Mais peut-être faisais-je partie des naïfs», nous confiait-il le 6 septembre, un rien ironique, à propos de ces divers encaissements.
samedi 9 octobre 2010
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