Le Monde, 3 février 2011
De ses années au pouvoir, François Léotard se souvient d'abord de la violence. Il l'évoque avec ce ton doux, presque monocorde, qui a toujours été le sien, installé au soleil dans le beau jardin de sa maison de Fréjus, où il vit toute l'année. A 68 ans, il a gardé ce profil à l'antique, sous les cheveux coupés ras. On a visité les oliviers qu'il a plantés, cherché une liqueur de myrte qu'il fait macérer lui-même, comme dans la Corse de sa famille maternelle. Mais, maintenant qu'il est assis dans la luminosité bleue de l'hiver méditerranéen, tous ses mots racontent la brutalité, les outrages et les trahisons d'un milieu qu'il a quitté sans regret.
Il y a quelques semaines, l'ancien ministre socialiste Michel Charasse, aujourd'hui membre du Conseil constitutionnel, lui a déconseillé, assure-t-il, de se rendre à la convocation du juge Trévidic, qui enquête sur les ressorts de l'attentat de Karachi. François Léotard y est allé tout de même, lundi 31 janvier. Mais devant le magistrat, qui l'entendait comme témoin, il affirme avoir mis tout de suite les choses au point : "On a voulu mettre fin aux juges d'instruction et le parquet dépend du pouvoir, vous comprendrez que je ne crois pas à la justice de mon pays..."
De cette époque, il lui reste une terrible galerie de portraits. Il les fait défiler, dans l'ordre de leur apparition dans l'affaire de Karachi. Voici d'abord Jacques Chirac, "portant en bandoulière son cynisme débonnaire". Puis Dominique de Villepin, dont il déteste le côté "casque à pointe" et qu'il soupçonne d'alimenter en rumeurs l'affaire de Karachi "par haine profonde pour Nicolas Sarkozy".
Lorsque le juge l'a interrogé sur ces hommes-là, il les a éreintés. Et plus encore son successeur à la défense, Charles Millon, que Jacques Chirac avait alors nommé justement parce qu'il était son pire ennemi. Il répète avec gourmandise la formule qu'il a fait inscrire au procès-verbal, pour être sûr qu'elle soit connue de tous, "parce que vous aurez dans quelques heures le procès-verbal de mon audition, n'est-ce pas ?". Millon, donc ? "Il était d'une laborieuse insignifiance."
Il sauve Edouard Balladur et Simone Veil, mais pas Charles Pasqua... En 1993, il se souvient bien que ce dernier briguait le poste de ministre de la défense. "Mais Balladur, assure-t-il, n'en voulait absolument pas dans ce ministère-là. Il s'en méfiait." Aujourd'hui encore, il nourrit tous les soupçons à son égard, et notamment celui d'avoir téléguidé, avec Jean-Charles Marchiani, alors préfet du Var en 1995, un livre dans lequel deux journalistes l'accusaient d'avoir commandité l'assassinat de la députée Yann Piat.
Il y a quelques semaines, Charles Pasqua lui a pourtant demandé de venir témoigner en sa faveur dans son procès en appel de l'"Angolagate". Il ne sait vraiment pas s'il ira.
Et Nicolas Sarkozy ? Le jeune ministre de l'époque, passe encore, mais le président est condamné. François Léotard a rédigé en quinze jours, en 2008, Ça va mal finir (Grasset), un violent pamphlet contre lui. Il ne l'a pas revu depuis des années.
Mais il retrouve toujours, de loin en loin, Renaud Donnedieu de Vabres, "mon frère", dit-il. Il sait les soupçons qui pèsent sur son ancien conseiller dans la négociation des contrats d'armements en cause dans l'attentat de Karachi. Lorsqu'il dépeint leur amitié, il se donne le rôle du prince et laisse à "Donnedieu" celui de l'aide de camp. "Je lui faisais entièrement confiance, sans toujours savoir ce qu'il faisait." C'est "Renaud" qui, à l'été 1995, s'inquiétant de sa fatigue et de son souffle court, l'engagea à aller faire un test d'effort. "Vingt-quatre heures plus tard, on m'hospitalisait pour un triple pontage coronarien."
Cela fait maintenant dix ans que François Léotard a rompu avec ce passé. A l'époque, il avait follement aimé cette excitation du combat. Aujourd'hui, il l'évoque parfois dans ses romans et dans la chronique qu'il tient chaque mois dans Corsica. Il est devenu consultant pour une grosse PME de sa région, dont il aide le patron à pénétrer les ministères. Lundi, dans le bureau du juge, il a proposé à l'avocat des parties civiles de rencontrer les victimes de cet attentat dont il rejette désormais la responsabilité sur le camp chiraquien. Pour le déjeuner, il a sorti de sa cave un vin de Bordeaux de circonstance, un Chasse-Spleen.
Raphaëlle Bacqué
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