vendredi 27 novembre 2009

Sondages de l'Elysée: Le jackpot derrière les Buisson

Libération, 25 novembre 2009

A la tête de Publifact, qui a réalisé de nombreux sondages pour l’Elysée, Patrick Buisson et son fils se sont octroyé 1 million d’euros en 2009. L’Assemblée doit décider demain de la mise en place d’une commission d’enquête.

Travailler dans les études d’opinion pour l’Elysée, ça paie bien. Depuis début novembre on connaît les belles sommes versées par l’Elysée en 2008 pour ses sondages et conseils : 724 000 euros pour le cabinet de l’ex-sondeur Pierre Giacometti, 890 000 euros pour l’institut de sondage Ipsos et 1,5 million d’euros pour Publifact, la société de Patrick Buisson, conseiller opinion de Nicolas Sarkozy, directeur de la chaîne Histoire (filiale à 100% de TF1) et ancien de LCI et du journal d’extrême droite Minute.

Cet été, après la révélation par la Cour des comptes de montants «exorbitant[s]» payés par l’Elysée, les comptes 2007 et 2008 de Publifact n’avaient toujours pas été déposés au tribunal de commerce. Depuis le 28 octobre, il est possible de les consulter.

Qu’y apprend-on ? La petite entreprise de Patrick Buisson a touché le jackpot : 835 904 euros de bénéfices en 2007, 602 080 euros en 2008. En termes de chiffre d’affaires, la réussite est fulgurante : 13 000 euros en 2003, 558 500 euros en 2004, puis 1 733 982 euros en 2007 et 1 356 800 euros en 2008. Plus croustillant : le récent partage des dividendes. En 2009, les trois actionnaires de la société se sont réparti 1 million d’euros. Résultat : en 2009, Patrick Buisson, actionnaire principal à 58%, a empoché 580 000 euros ; son fils, Georges Buisson, gérant de Publifact et employé lui aussi au sein de la chaîne Histoire, a obtenu 400 000 euros. Le reste, 20 000 euros, est attribué à un dernier actionnaire, Antoine Cassan. Côté dividendes, là aussi, la progression est belle : 25 euros par part en 2005, 600 en 2006, 674,15 l’année suivante et 2 000 euros en 2008.

«Anomalie». Certes, ces montants n’ont rien d’illégal. Mais la réussite de la boutique familiale étonne lorsque l’on reprend la convention signée le 1er juin 2007 avec l’Elysée : passée sans appel d’offres, elle comprend une page. Cité dans le rapport de la Cour des comptes sur le budget 2008 de l’Elysée, ce texte stipulait que le cabinet de Patrick Buisson «sera chargé de juger de l’opportunité, dans le temps et dans les thèmes, des sondages ou études d’opinion dont il confiera l’exécution aux instituts spécialisés de son choix». Explication des magistrats : «Ce cabinet disposait donc d’une totale liberté d’appréciation […], la présidence n’avait ni la maîtrise ni le contrôle tant de l’engagement que du montant des dépenses correspondant à ce contrat». Un exemple : des études de l’institut Opinion Way - accompagnées de conseils en stratégie - facturées par Publifact à l’Elysée pour près de 1,1 million d’euros en 2008, mais achetées 190 000 euros au départ, selon les dirigeants de l’institut.

Or, selon la Cour des comptes, «la présidence recevait l’étude […] sans aucun autre élément permettant d’attester de la réalité du service fait et de son coût réel». Pis, les magistrats ont relevé que des sondages payés par l’Elysée étaient identiques à certains publiés notamment dans le Politoscope LCI-le Figaro d’Opinion Way. Depuis mars, cette «anomalie», selon l’Elysée, a été corrigée et le «système» a été modifié. Le budget «études d’opinion» a été ramené à 1,4 million d’euros pour 2010 (contre 3,28 millions en 2008) et un appel d’offres a été lancé pour les futures études d’opinion.

«Inconstitutionnelle».Pour Publifact, deux contrats distincts ont été signés : l’un pour une «mission de conseil» rémunérée 10 000 euros nets par mois. L’autre pour une «mission d’organisation de sondages», stoppée en juillet et pour laquelle Buisson «estimait,selon le directeur de cabinet de Sarkozy, Christian Frémont, devoir être rémunéré pour son travail de conception des questions, d’analyse des tris et verbatim et de rédaction des rapports». Problème : ni la Cour des comptes ni les députés n’ont pu attester de l’existence de ces rapports. Aucune explication non plus sur la présence de sondages payés par l’Elysée dans certains médias.

Depuis fin juillet, les députés PS demandent la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. Le bureau de l’Assemblée nationale doit donner son avis sur le sujet demain. Sauf surprise, il devrait suivre la position de la commission des lois. Le 17 novembre, cette dernière a jugé la demande du PS «inconstitutionnelle» car ayant pour objectif, selon la majorité, de «porter atteinte à la responsabilité du chef de l’Etat». Si le débat prévu le 9 décembre à l’Assemblée est maintenu, seule une majorité de trois cinquièmes des députés pourra s’opposer à la mise en place d’une telle commission. Or, l’UMP et le Nouveau Centre ne disposent pas de cette majorité. Dernier espoir de l’Elysée : le président de l’Assemblée, Bernard Accoyer, seul à pouvoir stopper la procédure. Et empêcher du même coup la présidence de se justifier sur l’utilisation de ses fonds dédiés aux sondages.

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