Le Monde, 19 juin 2010
Vendredi 18 juin, le juge Marc Trévidic, chargé de l'instruction sur l'attentat de Karachi où onze salariés de la direction des constructions navales (DCN) ont trouvé la mort en 2002, a confirmé l'existence de "rétrocommissions", selon Me Olivier Morice, l'avocat de familles des victimes. Le juge "a confirmé sans équivoque possible l'existence de rétrocommissions illicites en expliquant qu'il démontrerait cela par les propres documents internes de la DCN", a indiqué l'avocat, qui a ajouté : "Il est clair qu'au plus haut niveau de l'Etat on sait parfaitement les motifs qui ont conduit à l'arrêt du versement des commissions."
Le juge Trévidic avait déclaré le 18 mai 2009 que la piste financière lui semblait "cruellement logique" : la cessation du versement, en 1996, par le nouveau président Jacques Chirac, des commissions liées à la vente deux ans plus tôt au Pakistan de trois sous-marins, pourrait être à l'origine de l'attentat. M. Chirac soupçonnait qu'une partie des sommes (les rétrocommissions) avaient servi à financer la campagne présidentielle de 1995 d'Edouard Balladur, dont Nicolas Sarkozy était le directeur de campagne.
L'instruction a prouvé que les commissions représentaient 10,25 % du contrat, soit 554,4 millions de francs (84 millions d'euros). Des intermédiaires avaient obtenu 4 % du contrat, soit 216 millions de francs. Personne ne met sérieusement en doute l'existence de rétrocommissions en dehors de MM. Balladur et Sarkozy. La mission d'information parlementaire n'a pas écarté la possibilité de leur existence. Mais l'essentiel des commissions a été versé avant 1996, et le lien avec l'attentat reste fragile.
C'est l'analyse de l'autre juge cosaisi du dossier, Yves Jannier, dont les mauvaises relations avec M. Trévidic sont notoires et qui était absent à la réunion avec les parties civiles. "Le juge Trévidic nous a expliqué qu'Yves Jannier ne croyait pas à la thèse d'un mobile financier, a déploré Magali Drouet, porte-parole des familles, et qu'il avait décidé de ne pas travailler sur cette thèse. Il y a deux juges, mais il y en a un dont on se demande ce qu'il fait là."
"Manque de coopération"
Marc Trévidic aurait, selon Me Morice, "stigmatisé le fait qu'il était seul, qu'il manquait de moyens pour enquêter", et déploré "un certain manque de coopération" de la direction centrale du renseignement intérieur. Le juge, qui a conscience d'instruire aux limites de sa saisine, a annoncé qu'il demanderait en septembre la codésignation d'un juge financier si le parquet refusait d'ouvrir une procédure distincte.
Me Morice a en effet déposé plainte le 14 décembre 2009 pour "corruption" visant explicitement M. Balladur. Le parquet a estimé que la corruption était prescrite, mais a diligenté une enquête préliminaire, sous son seul contrôle, pour "abus de biens sociaux". Faute d'avoir été entendu, Me Morice a de nouveau déposé plainte, le 15 juin, auprès du doyen des juges d'instruction, Françoise Desset, déjà saisie d'une enquête financière sur la DCN. La juge devra décider si la corruption est prescrite ou non et si les familles ont qualité à agir.
Franck Johannès
samedi 19 juin 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire