Le Parisien, 16 juin 2010 - Élisabeth Fleury et Nicolas Jacquard
Jean-Marie Boivin entrouvre la porte de son petit appartement, et la claque aussitôt. Pas question de répondre aux questions d’un journaliste. Cet homme, inconnu du grand public, est au cœur du scandale des ventes d’armes au Pakistan. C’est par ses sociétés offshore qu’auraient transité les commissions occultes versées en marge de ce contrat et susceptibles d’avoir financé la campagne d’Edouard Balladur en 1995.
Comme Alfred Sirven, qui prétendait au temps de l’affaire Elf pouvoir fait « sauter la République », Boivin est le détenteur de véritables secrets d’Etat…
On sait peu de chose de cet homme discret, né il y a cinquante-six ans à Troyes, mais qui a acquis récemment la nationalité luxembourgeoise. On le dit très proche du grand-duc lui-même, dont l’amitié lui servirait de sésame.
Les deux hommes ont souvent voyagé ensemble car Boivin parcourt le globe, de Singapour à la Thaïlande en passant par les Caraïbes.
« Il dispose d’un réseau international de relations tout à fait impressionnant », note Gérard-Philippe Ménayas, l’ancien directeur financier de la Direction des constructions navales (DCN), qui fut son donneur d’ordres.
Ingénieur de formation, militaire de carrière, parlant couramment espagnol, anglais, allemand et portugais, il fut d’abord traducteur pour le chef d’état-major de l’armée de l’air français, avant de devenir aide de camp du futur patron de la Direction du renseignement militaire.
Son mode de vie modeste intrigue
C’est par l’intermédiaire de son frère, proche du PDG de la DCN de l’époque, que Boivin aurait été recruté par l’entreprise publique, indique un spécialiste du renseignement. On est à l’orée des années 1990. Ses talents en matière de circuits financiers vont alors être pleinement exploités (lire ci-dessous).
Agosta, Bravo, Sawari : à l’occasion de ces grands contrats, signés avec le Pakistan, Taïwan ou l’Arabie saoudite, des dizaines de millions d’euros de commissions occultes transitent par ses structures. A partir de 2004, Jean-Marie Boivin décide de monnayer au prix fort ses secrets.
Monsieur Commissions réclame par lettres aux plus hautes instances de l’Etat français la somme de 8 M€ d’euros, après qu’on lui en eut proposé 610000. A-t-il touché l’argent exigé? Nul ne le sait.
Mais le Boivin potentiellement millionnaire du Luxembourg apparaît aux antipodes de l’homme qui a pris ses quartiers rue de l’Exposition, à deux pas du Champ-de-Mars.
Le pied-à-terre qu’il occupe appartient à ses parents. Son propre appartement, situé à l’étage au-dessus, est loué. Il a acquis deux autres biens dans le même immeuble, cette fois par la société Vorn SA, l’une de ses structures luxembourgeoises. Mais son mode de vie, modeste et rangé, intrigue.
« Son emploi du temps, note une voisine, est réglé comme du papier à musique. » Deux ou trois jours par semaine en France, Jean-Marie Boivin enchaîne ensuite avec le Luxembourg, avant de rendre visite, presque chaque week-end, à ses parents en province.
« Il s’habille de manière très quelconque et va toujours chercher son sandwich à la boulangerie », reprend cette riveraine. Célibataire endurci, Jean-Marie Boivin traîne, dans son sillage, une aura de mystère. Ses voisins sourient de le voir souvent muni d’un sac en plastique aller jeter ses poubelles ailleurs que dans l’immeuble. Certains sont en conflit avec lui. « Il n’entretient pas ses logements, s’agace cette riveraine, et veut faire payer à la copropriété. Il ne reçoit personne,et n’a jamais voulu que quelqu’un entre chez lui pour relever les compteurs d’eau. »
Est-il l’Alfred Sirven des marchands d’armes ou « un simple écran de fumée », comme le sous-entendent certains acteurs du dossier? Entendu par le juge Marc Trévidic en octobre dernier, Jean-Marie Boivin avait minimisé son rôle.
mercredi 16 juin 2010
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