jeudi 3 juin 2010

Karachi : Sarkozy cité dans un rapport de la police luxembourgeoise

Le Monde, 2 juin 2010

Nicolas Sarkozy a-t-il participé, en tant que ministre du budget, à un système de financement occulte pour la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 ? C'est ce que présume, sans pour autant en apporter la preuve, la police luxembourgeoise dans un rapport datant de janvier 2010. Ce document se plonge dans les arcanes des commissions versées lors de la vente de sous-marins français au Pakistan en 1994.

L'arrêt du paiement de ces commissions à des militaires pakistanais, décidé en 1996 par Jacques Chirac pour mettre fin au système illégal de rétro-commmissions versées en marge des contrats d'armement, est jugé susceptible d'avoir servi de mobile à l'attentat de Karachi en 2002, qui avait tué quatorze personnes dont onze Français. Le juge antiterroriste Marc Trévidic avait qualifié de "cruellement logique" l'hypothèse de représailles des services secrets pakistanais, suite à cette décision.

Mais ces commissions (environ 10 % des 826 millions d'euros dégagés à l'époque, utilisés comme contreparties financières pour les personnes favorisant la signature des contrats) sont également à la base d'importants montages financiers qui ont, entre 1993 et 1995, transité par le Luxembourg.

Le rapport de la police luxembourgeoise établit un lien direct entre Nicolas Sarkozy et des pratiques illégales de sociétés écrans, qui auraient participé au financement de la campagne présidentielle de 1995.

LA SOCIETE HEINE AU CENTRE DES SOUPÇONS

Sur demande des juges financiers français Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin, chargés depuis 2008 d'enquêter sur les affaires de corruption à la Direction des constructions navales (DCN, qui a construit et livré les sous-marins au Pakistan), la police luxembourgeoise s'est chargée d'éplucher les comptes de la société Heine : un établissement "offshore" du Luxembourg, créé en 1994 par la DCN et dirigé par Jean-Marie Boivin, homme clé de la DCN.

Selon le rapport des enquêteurs du Grand-Duché, l'actuel chef de l'Etat français aurait "directement" participé à la mise en place de Heine.

"Un document (...) fait état de l'historique et du fonctionnement des sociétés Heine et Eurolux [société jumelle de Heine]. Selon ce document, les accords sur la création des sociétés semblaient venir directement de M. le premier ministre Balladur et de M. le ministre des finances Nicolas Sarkozy."

Pour les enquêteurs luxembourgeois, qui détaillent les flux financiers transitant par Heine et Eurolux, l'utilisation de ces sociétés a notamment servi à la redistribution, en France, des rétro-commissions issues de la vente des sous-marins au Pakistan.

Un virement de 14,7 millions d'euros (96 millions de francs à l'époque) est notamment pointé du doigt.

La pratique, illégale au regard de la loi française, aurait servi à des hommes politiques pour financer leurs activités politiques.

"En 1995, des références font croire à une forme de rétro-commission [illégale] pour payer des campagnes politiques en France", note le rapport. "Nous soulignons qu'Edouard Balladur était candidat à l'élection présidentielle en 1995 face à Jacques Chirac et était soutenu par une partie du RPR, dont Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua."

En avril 2010, le journal Libération évoquait déjà le versement de près d'1,5 million d'euros à Edouard Balladur pour financer ses activités politiques : de l'argent qui serait issu des mêmes rétro-commissions dégagées lors des contrats entre la DCN et le Pakistan.

Ziad Takieddine, homme d'affaires franco-libanais qui aurait été imposé par le gouvernement de l'époque dans les négociations et accusé d'avoir récupéré de manière "insolite" 33 millions d'euros dans ces commissions, a pour sa part impliqué Jacques Chirac dans ce circuit financier occulte.

"NICOLAS SARKOZY EST AU CŒUR DE LA CORRUPTION"

Des sources proches du dossier, interrogées par l'AFP, ont confirmé la teneur du rapport et les indices relatifs aux rétro-commissions. Mais elles s'interrogeaient sur les éléments ayant conduit les enquêteurs luxembourgeois à conclure à un financement politique. De l'aveu même de ces derniers, la complexité du système ne permet pas de trouver une "preuve concrète de corruption".

Le chef de l'Etat avait qualifié, en juin 2009, de "fable" le soupçon de financement occulte de M. Balladur et demandait "des éléments" de preuve, tels ceux rassemblés par la police luxembourgeoise.

Pour l'avocat de six familles de victimes de l'attentat de Karachi, Me Olivier Morice, qui s'est exprimé sur France Info, "ce rapport montre que Nicolas Sarkozy est au cœur de la corruption et qu'il a menti aux familles". "Nous ne sommes pas en présence d'une fable mais d'un mensonge d'Etat", a estimé l'avocat, ajoutant que "les familles sont indignées et demandent [la] démission" de M. Sarkozy.

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