jeudi 17 décembre 2009

"Affaire Dray" : une enquête menée au bon vouloir du pouvoir

Le Monde | 17 décembre 2009

Comme toujours avec Jean-Claude Marin, l'argumentation juridique est soignée. Le rapport par lequel le procureur de la République de Paris propose à la chancellerie de ne pas renvoyer le député (PS) de l'Essonne, Julien Dray, devant le tribunal correctionnel et de prononcer à son encontre un simple "rappel à la loi" est adroitement motivé.

Pas de plainte de la part des associations – SOS-Racisme, Fédération des lycéens (FIDL), Parrains de SOS-Racisme – "qui estiment ne pas avoir subi de préjudice", "relative modicité" des sommes en jeu (78 350 euros), et remboursements d'ores et déjà intervenus de ces mêmes sommes sont autant d'éléments, souligne le procureur, qui "conduisent à considérer qu'un renvoi devant le tribunal correctionnel n'apparaît pas nécessaire pour réparer le trouble à l'ordre public susceptible d'avoir été causé par les agissements des protagonistes de l'affaire".

Circulez, il n'y a donc rien ou si peu à voir dans les mouvements suspects signalés sur les comptes bancaires du député socialiste et ceux de deux de ses collaborateurs par l'organisme antiblanchiment Tracfin.

Au fond, souligne le rapport de M. Marin en reprenant un argument de Me Léon-Lev Forster, avocat de Julien Dray, cela s'expliquerait en partie par la "grande confusion" qui règne dans la "famille associative" animée par le député socialiste.

On pourrait se réjouir d'une telle magnanimité du parquet qui tendrait à prouver que le ministère public peut enquêter à charge et à décharge.

La preuve ? Après avoir investigué pendant plusieurs mois en enquête préliminaire – c'est-à-dire hors de toute possibilité d'intervention de la défense – puis après avoir innové dans cette même procédure en portant en juillet 2009 le dossier à la connaissance des avocats des mis en cause et en leur suggérant de présenter leurs observations, M. Marin suggère finalement d'abandonner les poursuites.

SOUDAINE BIENVEILLANCE

Sans doute même devrait-on y voir la démonstration que cette procédure d'enquête préliminaire, dont le procureur de Paris est un farouche partisan, vaut bien mieux que des années d'instruction dans le cabinet d'un juge, un procès public et, au bout, une éventuelle relaxe. Plus rapide, plus efficace, moins dommageable pour l'honneur des mis en cause.

On pourrait enfin se féliciter des conclusions d'une enquête qui interviennent juste à temps pour permettre à M. Dray, vice-président du conseil régional d'Ile-de-France, de retrouver sa place de tête de liste dans l'Essonne à quelques semaines des élections régionales, comme semblent l'indiquer les premières réactions des dirigeants PS.

Tout cela serait vrai si une telle décision n'était entachée d'aucun doute sur les motivations réelles de cette soudaine bienveillance. Or, comment ne pas en avoir dans une affaire qui, de bout en bout, a été gérée "en opportunité" par le parquet ?

Opportunité dans le choix de la procédure; opportunité dans les fuites régulières distillées par le pouvoir sur le contenu d'investigations accablantes sur le train de vie de Julien Dray.

Des fuites qui indignaient à juste titre le député socialiste et l'ont conduit à obtenir la condamnation des journaux – dont Le Monde – et ont surtout mise à mal la solidarité du PS à l'égard d'un élu à l'image devenue encombrante.

Pascale Robert-Diard

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