La Cour de justice de la République a condamné vendredi l’ancien ministre de l’Intérieur à un an de prison avec sursis et l’a relaxé sur deux des trois affaires. La crédibilité de l’institution fait débat. Par KARL LASKE
Al’issue de son procès, Charles Pasqua a quitté, vendredi, le Palais de justice de Paris avec la certitude d’avoir remporté la partie. Au terme de ses délibérations, et après le vote des juges parlementaires, la Cour de justice de la République (CJR) a déclaré l’ancien ministre de l’Intérieur «non coupable» des délits de «corruption passive» et de «recel d’abus de biens sociaux» dans les affaires du casino d’Annemasse et GEC-Alsthom. Elle l’a en revanche jugé «coupable» des délits d’abus de biens sociaux et recel commis au préjudice de la Sofremi, l’office de vente d’armes du ministère de l’Intérieur, et condamné dans ce dossier à un an d’emprisonnement avec sursis. Le président Henri-Claude Le Gall, d’humeur maussade, a indiqué que l’arrêt expliquant les motivations de ce verdit serait rendu public en début de semaine.
Charles Pasqua échappe aussi à la peine de privation des droits civiques réclamée par l’avocat général, qui avait requis, jeudi, une peine de quatre ans d’emprisonnement dont deux ans ferme pour les trois dossiers. «J’ai une condamnation avec sursis. Je suis relaxé dans deux affaires. Et les accusations de corruption ont disparu», s’est félicité le sénateur de 83 ans. Il dispose d’un délai de cinq jours pour se pourvoir en cassation, un recours limité aux questions du respect de la loi et qui ne peut pas porter sur l’appréciation des faits.
La justice pénale est-elle placée en porte-à-faux par cette décision ?
Le verdict de la CJR est un camouflet pour l’institution judiciaire. Charles Pasqua ne s’y est pas trompé, en accusant une nouvelle fois le magistrat instructeur - l’actuel procureur de Nanterre, Philippe Courroye - d’avoir exercé des «pressions sur les témoins» et instruit avec partialité. Mais Courroye n’est pourtant pas seul à pouvoir se sentir visé. Les trois dossiers pour lesquels l’ancien ministre était poursuivi ont en effet été jugés jusqu’en appel et cassation. L’affaire du casino d’Annemasse est la plus flagrante. Pasqua était poursuivi pour «corruption passive», alors qu’un casinotier proche du ministre, Michel Tomi, avait été condamné définitivement en correctionnelle pour «corruption active». En stipulant qu’il n’y a plus de «corruption passive», la CJR contredit ce jugement et, implicitement, exonère aussi le corrupteur. «Il y a deux décisions de justice qui sont incompatibles», a commenté Me Jacqueline Laffont, avocate de Pasqua, vendredi. «La décision de la cour pourrait être un élément nouveau susceptible de provoquer la révision de ce procès», estimait Me Léon-Lef Forster, représentant lui aussi l’ex-ministre. Dans ce dossier correctionnel, Pasqua a de plus été condamné à dix-huit mois avec sursis pour financement illicite de sa campagne des élections européennes de 1999.
Les juges parlementaires ont-ils fait leur travail ?
L’audience est le premier indicateur dont on dispose. Et il est défavorable. En dix jours, moins d’une demi-douzaine de questions ont été directement posées à Charles Pasqua par les juges parlementaires. «Vont-ils poser enfin des questions ?» s’interrogeait Me Forster le jour des questions au prévenu. Une dizaine de juges se sont alors adressés à l’ancien ministre. Exemples : «Qui exerçait le contrôle ?» ; «Vous avez rappelé la responsabilité des témoins, quelle était la vôtre ?» ;«Pourquoi les Renseignements généraux ne vous ont-ils pas alerté ?» ; «Pouvez-vous préciser de quel règlement politique vous avez été victime ?» ;«Concernant les dysfonctionnements de la justice que vous avez évoqués dans cette affaire, avez-vous des pistes de réflexion ?» ;«Qu’avez-vous à vous reprocher ?» Autant dire que cet interrogatoire était une promenade de santé pour Charles Pasqua. Majoritairement UMP - en proportion de la représentation nationale - la couleur politique des juges n’est pas seule en cause, puisque les députés socialistes André Vallini et Tony Dreyfus n’ont pas posé une seule question. Trois juges se sont même endormis à l’audience, ce qui serait inacceptable aux assises.
Ce verdict pose-t-il une question institutionnelle ?
C’est d’abord un problème politique. Inhérent à la CJR. Sa composition politique permet de douter de son impartialité, quoi qu’elle fasse. Du verdict Pasqua ou, en 1999, de celui de l’affaire du sang contaminé. «Cette institution fait la preuve de son absence d’indépendance, estime l’ex-juge Eva Joly, eurodéputée (Europe Ecologie). Les grands pays démocratiques n’ont pas ce type d’instance d’exception. Tout ce qui est de l’ordre de la délinquance ordinaire, notamment la corruption, devrait relever des tribunaux ordinaires.» Les parlementaires sont-ils en mesure d’apprécier et juger le pénal ? «C’est un très mauvais système, estime le constitutionnaliste Guy Carcassonne. Il pénalise le politique et politise le pénal. Si ce qui est reproché à un ministre relève de ses fonctions ministérielles, il n’y a pas de raison que cela fasse l’objet d’un procès pénal. Et dans les affaires de malversations, l’appréciation du politique n’a rien à voir.»
A la fin du procès, Charles Pasqua n’a pas hésité à employer l’argument institutionnel. «Chacun sait qu’il y a depuis toujours dans ce pays un bras de fer entre le système judiciaire et le pouvoir politique, a-t-il dit aux juges parlementaires. Et c’est le peuple que vous représentez.» Le message a, semble-t-il, été reçu.
lundi 3 mai 2010
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