mercredi 17 novembre 2010

Affaire Karachi : Millon confirme l'existence de rétrocommissions

Le Monde, 17 novembre 2010

Nouveau rebondissement dans l'affaire de Karachi : l'ex-ministre de la défense de Jacques Chirac, Charles Millon, a confirmé lundi 15 novembre 2010, devant le juge Renaud Van Ruymbeke, l'existence de rétrocommissions, versées jusqu'en 1995 en marge d'un contrat de vente au Pakistan de sous-marins français, selon l'AFP et Le Nouvel Observateur.

En clair, une partie des commissions versées à des intermédiaires ayant aidé à obtenir le contrat revenait en France au bénéfice de certaines personnes.

Charles Millon avait déjà expliqué, en juin 2010 à Paris-Match, qu'il avait bloqué le versement de commissions "pouvant donner lieu à des rétrocommissions".

La justice soupçonne que l'attentat commis en 2002 à Karachi contre des personnels de la direction des constructions navales (DCN), qui avait fait 14 morts, puisse être lié à l'arrêt du versement de ces commissions aux intermédiaires saoudiens et pakistanais du contrat de vente des sous-marins.

Selon Le Nouvel Observateur, Charles Millon aurait cette fois déclaré, lors de son audition : "Le président de la République [Jacques Chirac] m'a dit […] qu'il souhaitait une moralisation de la vie publique et politique et qu'il y avait trop de bruit autour des contrats d'armement dû à l'existence de rétrocommissions. Il m'a donc demandé de faire procéder à une vérification sur tous les contrats."

JEAN-LOUIS DEBRÉ REFUSE DE DIVULGUER DES DOCUMENTS

L'information vient corroborer les conclusions d'un rapport effectué en 2002 par un ancien agent de la direction de la surveillance du territoire (DST), qui jugeait lui aussi que l'arrêt du versement de ces commissions avait conduit à l'attentat de Karachi. Or, les autorités françaises n'ont jamais divulgué les conclusions de ce rapport, avant qu'il ne soit révélé par Le Point en 2008. Durant toutes ces années, la piste suivie par les enquêteurs était celle d'un attentat commandité par Al-Qaida.

Un silence qui pourrait s'expliquer par l'autre volet, politique, de l'affaire : le soupçon selon lequel les intermédiaires aient reversé une partie de leurs commissions, notamment pour financer la campagne d'Edouard Balladur en 1995, codirigée par Nicolas Sarkozy.

Un dépôt d'argent liquide de 10 millions de francs avait été effectué sur le compte de campagne du candidat à la présidentielle. Selon l'équipe d'Edouard Balladur, il s'agissait de sommes correspondant à la vente d'articles publicitaires en marge de la campagne. Une explication pour le moins vague.

Les comptes de campagne avaient pourtant été validés par le Conseil constitutionnel.

La justice réclame de pouvoir examiner les délibérations des "sages" à cette époque. Mercredi 17 novembre 2010, Jean-Louis Debré, actuel président du Conseil, a une nouvelle fois refusé de confier ces archives aux juges, arguant du "secret des délibérés".

UN CHANTAGE CONTRE NICOLAS SARKOZY EN 2007 ?

Mediapart révèle mercredi d'autres faits troublants : le versement des commissions aux deux intermédiaires lors de la vente des sous-marins avait donné lieu à la constitution par la DCN de sociétés-écran basées au Luxembourg.

L'une d'elles, Heine, aurait été, selon un rapport de la police luxembourgeoise, supervisée "directement" par Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget.

Le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke aurait, selon Mediapart, recueilli plusieurs témoignages d'anciens cadres de la DCN, qui accréditent l'idée d'un montage opaque, permettant de dégager d'importantes sommes d'argent frais.

L'un des éléments de ce montage serait passé par Cedel, une société luxembourgeoise ensuite rebaptisée sous le nom de… Clearstream.

Toujours d'après le site d'information, l'ancien dirigeant de Heine, Jean-Marie Boivin, aurait tenté de faire pression sur des personnalités politiques. C'est du moins ce dont l'accuse, devant le juge, l'ancien directeur financier de la DCN, Gérard-Philippe Menayas.

En 2004, la DCN a décidé de se passer de ses services, lui octroyant une indemnité de 610 200 euros. La somme étant trop modeste aux yeux de l'intéressé, il aurait tenté de la gonfler.

Selon le témoignage de M. Menayas, cité par Mediapart, Jean-Marie Boivin "envoyait des courriers d'abord à l'entreprise, puis à des responsables de l'Etat français, voire M. Sarkozy lui-même avant qu'il ne soit président".

Il réclamait huit millions d'euros et menaçait "de faire des révélations" sur les rétrocommissions. Parmi les destinataires de ses courriers de menace, Jacques Chirac, Michèle Alliot-Marie et Nicolas Sarkozy.

Jean-Marie Boivin aurait également raconté à Gérard-Philippe Menayas avoir reçu la visite, au Luxembourg en 2006, d'anciens agents de la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure, les services de renseignement français). Ces hommes, qui l'auraient menacé physiquement, auraient été envoyés par l'actuel chef de l'Etat, aurait affirmé M. Boivin à M. Menayas.

Toujours selon ce dernier, Jean-Marie Boivin aurait fini par obtenir une compensation plus importante grâce à un protocole entre Heine, la DCN et l'Etat.

Pour Gérard-Philippe Menayas, cette somme pourrait être une manière d'acheter le silence de M. Boivin.

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