mercredi 17 novembre 2010

Karachi, Episode 3 : Un attentat meurtrier

Le Monde, 17 novembre 2010

Arrivé au pouvoir, Jacques Chirac découvre ces ventes et les commissions. Il demande à son ministre de la défense, Charles Millon, d'enquêter à leur sujet. Celui-ci fait appel à la DGSE, et aurait même demandé la mise sur écoutes de son prédecesseur, François Léotard. Les conclusions de son enquête lui permettent, selon ce qu'il a déclaré au juge Van Ruymbeke, de conclure à l'existence de rétrocommissions.

Fort de ce constat, Jacques Chirac décide en 1996 d'arrêter de verser les commissions dues aux intermédiaires. Il décide aussi de ne pas leur verser l'argent promis pour le contrat Sawari II de vente de frégates à l'Arabie Saoudite.

Un témoin du juge Van Ruymbeke, Michel Mazens, chargé à l'époque de négocier les contrats d'armement et en liaison constante avec le secrétaire général de l'Elysée, Dominique de Villepin, est envoyé auprès de la DCN pour annoncer la décision du chef de l'Etat. Son interlocuteur, Dominique Castellan, lui aurait alors déclaré que l'arrêt de ces paiements l'inquiétait, car il risquait de "faire courir des risques à ses personnels" à l'étranger. Mais Michel Mazans a ensuite nié, dans un entretien à Libération (lien payant), tout lien entre la fin des rétrocommissions et l'attentat.

Michel Mazens a également confirmé au juge que Jacques Chirac lui avait demandé de ne pas rémunérer Takkedine et al-Assir pour le contrat des frégates en Arabie Saoudite. Un mystère demeure : si les commissions ont été stoppées en 1996, pourquoi l'attentat n'est-il survenu qu'en 2002 ? Car, selon Libération, un flux d'argent aurait continué d'alimenter les comptes des deux intermédiaires, de manière officieuse jusqu'en 2001.

L'année suivante, le 8 mai 2002, un attentat frappe les chantiers de construction navale de Karachi. Un kamikaze jette sa voiture remplie d'explosifs contre un bus qui transporte des personnels français de la Direction des constructions navales (DCN), qui participent à la construction d'un sous-marin. Onze employés français et trois Pakistanais perdent la vie. L'attentat ne sera jamais revendiqué, même si Oussama Ben Laden y fera allusion quelques mois plus tard, dans un message vidéo où il cite une somme d'actions terroristes, dont la prise d'otage du théâtre de Moscou, qui n'avait rien à voir avec Al-Qaida.

Un an après le 11-Septembre, Paris soupçonne prioritairement le réseau terroriste de Ben Laden d'être à l'origine de l'opération, et oriente son enquête, menée par le juge antiterroriste Bruguière, sur les filières terroristes islamistes. Jean-Louis Bruguière, peu apprécié des familles de victimes, est remplacé en 2007 par deux juges (lui-même se présente aux élections législatives sous la bannière de l'UMP). L'un d'entre eux, Marc Trévidic, privilégie une autre piste : l'attentat serait la conséquence de l'arrêt du versement des commissions de la DCN.

Il n'est pas le seul : un ancien agent de la DST (Direction de la sûreté du territoire), employé par la DCN pour enquêter sur l'affaire, exprime les mêmes soupçons dans un rapport baptisé "Nautilus". On peut notamment y lire : " Les personnalités militaires ayant instrumentalisé le groupe islamiste qui a mené à bien l'action poursuivaient un but financier. Il s'agissait d'obtenir le versement de commissions non-honorées, et promises par le réseau [Abdulrahman] El Assir lors de la signature du contrat de septembre 1994. " Mais ce rapport, écrit en 2002, ne sera jamais transmis à la justice par la DCN et restera secret jusqu'à ce que Le Point en révèle l'existence, en 2008.

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