Affaire Dray : dernières sommations !, 26 juillet 2009
Julien Dray ne marquera sans doute pas l’histoire de France, mais pour avoir « bénéficié » en avant-première de la réforme du Code de procédure pénale, il a gagné sa place dans les bouquins de droit. Pourquoi ce régime particulier? Petite tentative pour comprendre…
En 1990, sous le gouvernement de Michel Rocard, pour faire face à la mondialisation du trafic de stupéfiants, on décide de s’attaquer aux flux financiers internationaux générés par ce trafic en créant une cellule auprès du ministère des Finances : TRACFIN. Au fil des ans, les compétences de ce service s’étendent au crime organisé, à la corruption, aux intérêts financiers des Communautés européennes, puis à la lutte contre le terrorisme.
On en était à peu près là, l’année dernière lorsque l’affaire Dray a éclaté. TRACFIN n’est pas un service judiciaire et si lors de leurs recherches ses fonctionnaires découvrent des faits qui tombent sous le coup de la loi, leur devoir (c’est une obligation légale pour tous les fonctionnaires) est de les dénoncer au procureur de la République – et non pas de bâtir patiemment un dossier franco-français contre un homme, qu’il soit député de l’opposition ou non.
Or Dray est tellement saucissonné dans ce dossier que lorsque celui-ci échoit sur le bureau du procureur, ce dernier n’a plus qu’à saisir un juge d’instruction afin que l’affaire suive son cours. Ce qu’il ne fait pas. On peut donc supposer qu’il a reçu des instructions pour éviter qu’un petit juge ne mette le nez dans cette affaire. D’autant que ledit petit juge aurait probablement cru bon de prendre la déposition des gens de TRACFIN, voire d’effectuer une perquisition dans leurs bureaux, comme ce fut le cas dans l’enquête sur la caisse noire de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie).
On en arrive donc à cette situation ubuesque où un service administratif destiné à lutter contre le blanchiment d’argent, et qui bénéficie des mêmes prérogatives d’enquête que des policiers ou des gendarmes, monte un dossier contre un homme politique qui a longtemps été très proche de la prétendante à la présidence de la République (dans le dossier on trouve d’ailleurs un autre proche de Ségolène Royal). Et pour garder mainmise sur l’affaire le procureur décide d’utiliser les pouvoirs que devrait lui donner la nouvelle procédure pénale actuellement toujours dans les tuyaux.
Bon, on peut toujours se dire que Julien Dray l’a bien cherché et que son train de vie de nanti n’attire pas spécialement la sympathie.
Et que ces choses n’arrivent qu’aux autres…
Sauf que le décret du 16 juillet 2009 modifie sérieusement la donne. Car dorénavant, il ne s’agit plus seulement pour TRACFIN de lutter contre le blanchiment mais bel et bien de surveiller tous les habitants de l’Hexagone en mettant en place une obligation de « déclaration de soupçons ».
Qu’on le veuille ou non, on n’est pas loin de la délation organisée au niveau de l’État. Et nous sommes tous concernés. Pour paraphraser un slogan soixante-huitard, nous sommes tous des Julien Dray.
Le texte énumère les cas dans lesquels il devient obligatoire de faire une dénonciation, euh…, je voulais dire « une déclaration de soupçons ». Il y en a 16. Certains risquent de gâcher vos relations avec votre banquier. Ainsi vous déposez des fonds sur votre compte, il va vous demander d’où provient cet argent. Et si vous refusez de répondre, il vous dénonce. Et s’il n’ose pas vous poser la question mais qu’il estime que la somme que vous déposez ne correspond pas à votre train de vie, il vous dénonce aussi. Vous vendez votre maison à un prix trop bas, cette fois, c’est votre notaire qui vous dénonce, etc.
Et vous n’en saurez rien, car votre banquier ou votre notaire…, n’a pas le droit de vous informer qu’il vous a signalé à TRACFIN. S’il ne vous signale pas, il risque des poursuites pour complicité et s’il vous avise qu’il vous a signalé, il risque des poursuites pénales. Il faut avouer que la marge de manœuvre est restreinte…
Vous me direz, mon banquier, mon notaire, bof ! Oui mais si vous parcourez l’article 561-2 du Code monétaire et financier, vous allez être étonné de voir le nombre de gens que cela concerne, comme les galeries d’art, les antiquaires, les agences immobilières, les loueurs de biens, etc. On s’achemine nettement vers une généralisation pour toutes les transactions commerciales à partir du moment où il existe un soupçon de possibilité d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement d’un an. C’est-à-dire quasiment tous les délits. Attention aux transactions sur Internet ! Si vous achetez une voiture d’occasion nettement en-dessous de son cours, devez-vous penser que vous faites une bonne affaire ou qu’elle est volée ?
Dénoncer un crime ou un délit peut être un devoir civique, mais colporter un soupçon… « On ne bâtit pas une société démocratique sur des déclarations de soupçons » a déclaré Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux » (Le Monde du 7 juillet 2009).
Il faut dire que les avocats sont concernés au premier chef. Comment concilier cette obligation de dénonciation avec la confidentialité qui s’attache aux relations avec leurs clients ? Le Conseil d’État a estimé que les avocats ne pouvaient arguer du secret professionnel que dans leurs « activités juridictionnelles ». Dans tous les autres cas, ils doivent informer leur bâtonnier qui prendra la décision de faire ou non une « déclaration de soupçons ». Un truc à bousiller les vacances des avocats d’affaires, qui le plus souvent interviennent comme conseils, car leur clientèle, composée essentiellement d’entreprises, risque fort de s’adresser dorénavant à des cabinets étrangers. Sûr qu’ils doivent avoir une dent contre leur consœur, Christine Lagarde, qui a longtemps été à la tête de Baker & Mckenzie, l’un des plus grands cabinets d’avocats d’affaires du monde.
Certains rouspètent contre la méthode qui consiste à promulguer un décret d’application en plein été (la loi date du mois de janvier) et estiment que ce texte va bien au-delà de la 3° directive européenne, dite directive anti-blanchiment.
On jugera à l’usage.
Mais pour en revenir à Julien Dray, on peut s’étonner qu’il ait étrenné et le nouveau Code de procédure pénale et les nouveaux pouvoirs de TRACFIN – le tout avant parution. Un précurseur, quoi !
À se demander si toute cette publicité autour de son cas ne ressemble pas à un coup de semonce vis-à-vis de la classe politique et du monde des affaires. On en fait un épouvantail : Voyez ce qu’on a les moyens de faire…
Une arme de dissuasion massive en quelque sorte.
dimanche 26 juillet 2009
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