Affaire Julien Dray : des fuites embarrassantes, Libération, 25 juillet 2009
«Je trouve le procureur de la République est un peu aventureux tout de même», lâchait, vendredi, un avocat proche de SOS Racisme.
En décidant de communiquer, pour la première fois, un rapport d’enquête préliminaire aux avocats de Julien Dray et de SOS Racisme, Jean-Claude Marin, le procureur de la République de Paris, savait qu’il provoquerait des vagues. Des protestations de magistrats. Il n’ignorait pas non plus les risques d’évaporation et de fuites. Elles ont été rapides.
Le site d’information en ligne Mediapart et le Monde ont révélé ensemble, vendredi, de larges extraits du rapport sur les comptes de Julien Dray (lire page suivante).
Le député socialiste a réagi sur son blog, dans la soirée : «J’affirme aujourd’hui que tout ce qui a été écrit depuis ce matin, et qui concerne le rapport d’enquête de la brigade financière, est faux, que les chiffres avancés sont inventés, et que je poursuivrai en justice, dans les heures qui viennent, tous les organes de presse qui les ont relayés.»
Selon ces extraits, l’enquête préliminaire confirme une bonne partie des soupçons émis par Tracfin, l’organisme antiblanchiment de Bercy, fin 2008, sur les mouvements de fonds suspects, évalués à 350 000 euros, entre les associations de la mouvance SOS et les comptes personnels de Julien Dray.
Comptes. «La défense de Julien Dray ne pense pas que le procureur soit à l’origine des fuites, assure Me Léon-Lef Forster, l’un des avocats du député de l’Essonne. On assiste, depuis le début de l’enquête, à une volonté de déstabiliser M. Dray ; aujourd’hui, on tente de déstabiliser le procureur pour le contraindre à renvoyer M. Dray devant le tribunal.»
Le rapport de la brigade financière et près de 4 000 pages de procédure ont été communiqués mercredi sous la forme d’un CD-ROM aux avocats.
«M. Dray n’a même pas pu en prendre connaissance», déplore Me Forster.
Un autre avocat, Me Patrick Klugman, défenseur du syndicat lycéen Fidl, a annoncé qu’il préparait «de nouvelles actions en justice»,«des plaintes ou des assignations contre les deux médias qui ont violé le secret de l’enquête».
En signalant que «le procureur de la République n’a pas jugé nécessaire de désigner un juge d’instruction», Mediapart pronostiquait un renvoi de l’affaire par citation directe au tribunal correctionnel, en précisant que Jean-Claude Marin n’envisageait de renvoyer qu’«une demi-douzaine de personnes» sur quatorze citées dans la procédure.
Dans l’après-midi, le procureur a assuré dans un communiqué qu’«aucune décision» n’était prise «concernant un éventuel renvoi devant un tribunal correctionnel de Julien Dray».
Le procureur avait déjà laissé entendre qu’il n’envisageait pas d’ouvrir une information judiciaire sur les comptes du député. «Ce dossier paraît, a priori, simple et très circonscrit», avait-il déclaré au en mars à Libération.
Mardi, l’annonce de la communication de l’enquête préliminaire à Julien Dray a provoqué un déluge de critiques de la part des organisations professionnelles de magistrats, mécontentes de le voir ainsi «anticiper» la suppression du juge d’instruction.
«Aucune garantie, ni aucun recours ne sont prévus dans la procédure qu’il expérimente», dénonçait l’Union syndicale des magistrats (USM).
«On est en dehors de tout cadre légal», approuvait Me Forster. Vendredi, dénonçant la fuite dans la presse et «l’interprétation exclusivement à charge du travail policier» (1), Me Forster a indiqué qu’il pourrait cesser de cautionner l’expérience du procureur.
Divulgation. D’autres avocats soulignaient les limites de l’exercice. «Le procureur a distribué une copie du dossier à des avocats, mais comment les a-t-il choisis ? réagissait l’un d’eux. Je connais des personnes qui ont été placées en garde à vue dans l’affaire Dray et qui n’ont pas désigné d’avocat. Elles n’ont pas été destinataires d’une copie du dossier. Est-ce qu’on leur a précisé qu’elles perdaient le droit de voir le dossier et de faire des observations ? Je ne crois pas.»
L’autre problème, déjà souligné par les organisations de magistrats, tient à la divulgation des pièces de l’enquête préliminaire aux personnes entendues ou gardées à vue.
N’étant pas mises en examen, ni parties civiles ni parties tout court, elles sont «des tiers». Cela constitue donc, déjà, une fuite. «Certains pourraient se plaindre d’une violation de secret professionnel dont la source serait le procureur lui-même», estime un avocat.
(1) Libération a transmis, vendredi, une demande d’entretien à Julien Dray, via son avocat. Me Forster a indiqué qu’il ne «s’exprimerait pas sur le fond».
samedi 25 juillet 2009
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