Le Monde, 30 juin 2010
Jean-Marie Boivin, mandataire de la société luxembourgeoise Eurolux, et dont le nom est cité dans l'affaire de l'attentat de Karachi en 2002, a été mis lundi 28 juin 2010 en examen par les juges Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin dans une autre enquête visant l'ex-direction des constructions navales (DCN) pour espionnage et corruption, a-t-on appris mardi de sources proches du dossier.
Les deux magistrats financiers soupçonnent depuis février 2008 la DCN, devenue DCNS, d'avoir eu recours aux services d'intelligence économique pour se procurer des pièces de procédure judiciaire intéressant la DCN, comme Clearstream ou l'affaire des frégates de Taïwan. Or, les juges soupçonnent qu'une partie de la rémunération de ces missions d'espionnage a transité par la société Eurolux.
DÉJÀ TROIS PERSONNES MISES EN EXAMEN
Jean-Marie Boivin avait déjà été convoqué par les magistrats le 16 juin 2010 mais il ne s'était pas présenté à la convocation. Il a finalement été mis en examen lundi, selon ces sources, qui n'ont pas précisé les chefs de l'accusation.
Trois personnes ont déjà été mises en examen dans ce dossier : Claude Thevenet, consultant et ancien membre de la direction de la surveillance du territoire (DST, contre-espionnage), Gérard-Philippe Menayas, un ancien cadre supérieur de la DCN, et Jean-Pierre Dentel, un contrôleur des impôts de la division nationale des enquêtes fiscales.
Le nom de Jean-Marie Boivin apparaît dans l'enquête sur l'attentat de Karachi (Pakistan) en 2002. Des commissions versées sur la vente de sous-marins au Pakistan en 1994 ont transité par une société baptisée Heine, dont M. Boivin était mandataire, créée avec l'aval de Nicolas Sarkozy lorsqu'il était ministre du budget en 1994.
Quinze personnes, dont 11 salariés de la DCN travaillant à la construction des sous-marins, ont trouvé la mort dans l'attentat commis en mai 2002 : les juges antiterroristes français soupçonnent que ce dernier a été commis en représailles à l'arrêt du versement de ces commissions à l'armée pakistanaise.
mardi 29 juin 2010
Un proche collaborateur de Berlusconi condamné à 7 ans pour complicité avec la mafia
Le Point, 29 juin 2010
Bras droit de Silvio Berlusconi en affaire comme en politique, Marcello Dell'Utri a été condamné en appel par le tribunal de Palerme à sept ans de réclusion pour "association externe" avec la mafia.
Une sentence inférieure aux neuf ans infligés en première instance mais qui laisse une trace d'ombre sur le sénateur Dell'Utri et sur son mentor.
Palermitain, 69 ans, Marcello Dell'Utri est entré au service de Silvio Berlusconi en 1974. En 1982, il fonde Publitalia, la régie publicitaire qui fera la fortune du Cavaliere. Et en 1993, il est avec Silvio Berlusconi le cofondateur du parti Forza Italia. Dès 1997, la magistrature ouvre une instruction contre lui.
Car c'est Marcello Dell'Utri qui, en 1973, a fait embaucher par Silvio Berlusconi un certain Vittorio Mangano. Engagé pour faire le palefrenier dans la villa milanaise du Cavaliere, Mangano est en réalité un homme d'honneur de Cosa Nostra qui sera condamné plus tard à perpétuité pour plusieurs homicides.
Pour le juge Borsellino "Mangano était la tête de pont de Cosa Nostra au Nord". Sa présence au domicile de Berlusconi mettait ce dernier et sa famille à l'abri des tentatives d'enlèvement, fréquentes dans la péninsule à la fin des années 70.
Ce n'est pas le seul contact mafieux de Marcello Dell'Utri. Selon les repentis Tommaso Buscetta et Nino Giuffrè, il était en relation d'affaire avec les deux parrains palermitains Gaetano Cinà et Stefano Bontade.
Il aurait permis à ces derniers de recycler leur immense fortune dans des programmes immobiliers du nord de la péninsule comme Milano 2, la ville construite par Silvio Berlusconi aux portes de la capitale lombarde. Berlusconi n'a jamais justifié l'origine des capitaux qui lui ont permis de se lancer ainsi dans les affaires.
Les magistrats, "métastases de l'Italie" (Berlusconi)
Si la sentence de Palerme a confirmé la culpabilité de Dell'Utri sur un premier versant du dossier, la cour d'appel a absous le collaborateur de Berlusconi pour ce qui lui était reproché après 1992.
Le parquet accusait en effet également Marcello Dell'Utri d'avoir passé un pacte avec Cosa Nostra au moment de la création de Forza Italia.
La mafia aurait alors réalisé la série d'attentats terroristes qui ont ensanglanté Rome, Milan et Florence durant l'été 1993 pour conduire le pays vers le chaos. Le désordre devant favoriser la naissance du nouveau parti politique guidé par Berlusconi. Une thèse qui s'appuyait, là encore, sur les témoignages de repentis comme Gaspare Spatuzza ou le fils de l'ancien maire de Palerme, Massimo Ciancimino.
Mais Marcello Dell'Utri est donc blanchi de ces accusations qui, si elles avaient été démontrées, auraient entraîné la chute de Berlusconi et du parti est au pouvoir.
Il pourrait même bénéficier d'une prescription pour les sept ans de prison qui lui ont été confirmés en appel mais concernent des délits commis il y a plus de 20 ans.
Le verdict est toutefois encore trop sévère pour Silvio Berlusconi. Après la lecture de la sentence, il a déclaré que les magistrats sont "les métastases de l'Italie."
Bras droit de Silvio Berlusconi en affaire comme en politique, Marcello Dell'Utri a été condamné en appel par le tribunal de Palerme à sept ans de réclusion pour "association externe" avec la mafia.
Une sentence inférieure aux neuf ans infligés en première instance mais qui laisse une trace d'ombre sur le sénateur Dell'Utri et sur son mentor.
Palermitain, 69 ans, Marcello Dell'Utri est entré au service de Silvio Berlusconi en 1974. En 1982, il fonde Publitalia, la régie publicitaire qui fera la fortune du Cavaliere. Et en 1993, il est avec Silvio Berlusconi le cofondateur du parti Forza Italia. Dès 1997, la magistrature ouvre une instruction contre lui.
Car c'est Marcello Dell'Utri qui, en 1973, a fait embaucher par Silvio Berlusconi un certain Vittorio Mangano. Engagé pour faire le palefrenier dans la villa milanaise du Cavaliere, Mangano est en réalité un homme d'honneur de Cosa Nostra qui sera condamné plus tard à perpétuité pour plusieurs homicides.
Pour le juge Borsellino "Mangano était la tête de pont de Cosa Nostra au Nord". Sa présence au domicile de Berlusconi mettait ce dernier et sa famille à l'abri des tentatives d'enlèvement, fréquentes dans la péninsule à la fin des années 70.
Ce n'est pas le seul contact mafieux de Marcello Dell'Utri. Selon les repentis Tommaso Buscetta et Nino Giuffrè, il était en relation d'affaire avec les deux parrains palermitains Gaetano Cinà et Stefano Bontade.
Il aurait permis à ces derniers de recycler leur immense fortune dans des programmes immobiliers du nord de la péninsule comme Milano 2, la ville construite par Silvio Berlusconi aux portes de la capitale lombarde. Berlusconi n'a jamais justifié l'origine des capitaux qui lui ont permis de se lancer ainsi dans les affaires.
Les magistrats, "métastases de l'Italie" (Berlusconi)
Si la sentence de Palerme a confirmé la culpabilité de Dell'Utri sur un premier versant du dossier, la cour d'appel a absous le collaborateur de Berlusconi pour ce qui lui était reproché après 1992.
Le parquet accusait en effet également Marcello Dell'Utri d'avoir passé un pacte avec Cosa Nostra au moment de la création de Forza Italia.
La mafia aurait alors réalisé la série d'attentats terroristes qui ont ensanglanté Rome, Milan et Florence durant l'été 1993 pour conduire le pays vers le chaos. Le désordre devant favoriser la naissance du nouveau parti politique guidé par Berlusconi. Une thèse qui s'appuyait, là encore, sur les témoignages de repentis comme Gaspare Spatuzza ou le fils de l'ancien maire de Palerme, Massimo Ciancimino.
Mais Marcello Dell'Utri est donc blanchi de ces accusations qui, si elles avaient été démontrées, auraient entraîné la chute de Berlusconi et du parti est au pouvoir.
Il pourrait même bénéficier d'une prescription pour les sept ans de prison qui lui ont été confirmés en appel mais concernent des délits commis il y a plus de 20 ans.
Le verdict est toutefois encore trop sévère pour Silvio Berlusconi. Après la lecture de la sentence, il a déclaré que les magistrats sont "les métastases de l'Italie."
samedi 19 juin 2010
Karachi : le juge Trévidic confirme les rétrocommissions
Le Monde, 19 juin 2010
Vendredi 18 juin, le juge Marc Trévidic, chargé de l'instruction sur l'attentat de Karachi où onze salariés de la direction des constructions navales (DCN) ont trouvé la mort en 2002, a confirmé l'existence de "rétrocommissions", selon Me Olivier Morice, l'avocat de familles des victimes. Le juge "a confirmé sans équivoque possible l'existence de rétrocommissions illicites en expliquant qu'il démontrerait cela par les propres documents internes de la DCN", a indiqué l'avocat, qui a ajouté : "Il est clair qu'au plus haut niveau de l'Etat on sait parfaitement les motifs qui ont conduit à l'arrêt du versement des commissions."
Le juge Trévidic avait déclaré le 18 mai 2009 que la piste financière lui semblait "cruellement logique" : la cessation du versement, en 1996, par le nouveau président Jacques Chirac, des commissions liées à la vente deux ans plus tôt au Pakistan de trois sous-marins, pourrait être à l'origine de l'attentat. M. Chirac soupçonnait qu'une partie des sommes (les rétrocommissions) avaient servi à financer la campagne présidentielle de 1995 d'Edouard Balladur, dont Nicolas Sarkozy était le directeur de campagne.
L'instruction a prouvé que les commissions représentaient 10,25 % du contrat, soit 554,4 millions de francs (84 millions d'euros). Des intermédiaires avaient obtenu 4 % du contrat, soit 216 millions de francs. Personne ne met sérieusement en doute l'existence de rétrocommissions en dehors de MM. Balladur et Sarkozy. La mission d'information parlementaire n'a pas écarté la possibilité de leur existence. Mais l'essentiel des commissions a été versé avant 1996, et le lien avec l'attentat reste fragile.
C'est l'analyse de l'autre juge cosaisi du dossier, Yves Jannier, dont les mauvaises relations avec M. Trévidic sont notoires et qui était absent à la réunion avec les parties civiles. "Le juge Trévidic nous a expliqué qu'Yves Jannier ne croyait pas à la thèse d'un mobile financier, a déploré Magali Drouet, porte-parole des familles, et qu'il avait décidé de ne pas travailler sur cette thèse. Il y a deux juges, mais il y en a un dont on se demande ce qu'il fait là."
"Manque de coopération"
Marc Trévidic aurait, selon Me Morice, "stigmatisé le fait qu'il était seul, qu'il manquait de moyens pour enquêter", et déploré "un certain manque de coopération" de la direction centrale du renseignement intérieur. Le juge, qui a conscience d'instruire aux limites de sa saisine, a annoncé qu'il demanderait en septembre la codésignation d'un juge financier si le parquet refusait d'ouvrir une procédure distincte.
Me Morice a en effet déposé plainte le 14 décembre 2009 pour "corruption" visant explicitement M. Balladur. Le parquet a estimé que la corruption était prescrite, mais a diligenté une enquête préliminaire, sous son seul contrôle, pour "abus de biens sociaux". Faute d'avoir été entendu, Me Morice a de nouveau déposé plainte, le 15 juin, auprès du doyen des juges d'instruction, Françoise Desset, déjà saisie d'une enquête financière sur la DCN. La juge devra décider si la corruption est prescrite ou non et si les familles ont qualité à agir.
Franck Johannès
Vendredi 18 juin, le juge Marc Trévidic, chargé de l'instruction sur l'attentat de Karachi où onze salariés de la direction des constructions navales (DCN) ont trouvé la mort en 2002, a confirmé l'existence de "rétrocommissions", selon Me Olivier Morice, l'avocat de familles des victimes. Le juge "a confirmé sans équivoque possible l'existence de rétrocommissions illicites en expliquant qu'il démontrerait cela par les propres documents internes de la DCN", a indiqué l'avocat, qui a ajouté : "Il est clair qu'au plus haut niveau de l'Etat on sait parfaitement les motifs qui ont conduit à l'arrêt du versement des commissions."
Le juge Trévidic avait déclaré le 18 mai 2009 que la piste financière lui semblait "cruellement logique" : la cessation du versement, en 1996, par le nouveau président Jacques Chirac, des commissions liées à la vente deux ans plus tôt au Pakistan de trois sous-marins, pourrait être à l'origine de l'attentat. M. Chirac soupçonnait qu'une partie des sommes (les rétrocommissions) avaient servi à financer la campagne présidentielle de 1995 d'Edouard Balladur, dont Nicolas Sarkozy était le directeur de campagne.
L'instruction a prouvé que les commissions représentaient 10,25 % du contrat, soit 554,4 millions de francs (84 millions d'euros). Des intermédiaires avaient obtenu 4 % du contrat, soit 216 millions de francs. Personne ne met sérieusement en doute l'existence de rétrocommissions en dehors de MM. Balladur et Sarkozy. La mission d'information parlementaire n'a pas écarté la possibilité de leur existence. Mais l'essentiel des commissions a été versé avant 1996, et le lien avec l'attentat reste fragile.
C'est l'analyse de l'autre juge cosaisi du dossier, Yves Jannier, dont les mauvaises relations avec M. Trévidic sont notoires et qui était absent à la réunion avec les parties civiles. "Le juge Trévidic nous a expliqué qu'Yves Jannier ne croyait pas à la thèse d'un mobile financier, a déploré Magali Drouet, porte-parole des familles, et qu'il avait décidé de ne pas travailler sur cette thèse. Il y a deux juges, mais il y en a un dont on se demande ce qu'il fait là."
"Manque de coopération"
Marc Trévidic aurait, selon Me Morice, "stigmatisé le fait qu'il était seul, qu'il manquait de moyens pour enquêter", et déploré "un certain manque de coopération" de la direction centrale du renseignement intérieur. Le juge, qui a conscience d'instruire aux limites de sa saisine, a annoncé qu'il demanderait en septembre la codésignation d'un juge financier si le parquet refusait d'ouvrir une procédure distincte.
Me Morice a en effet déposé plainte le 14 décembre 2009 pour "corruption" visant explicitement M. Balladur. Le parquet a estimé que la corruption était prescrite, mais a diligenté une enquête préliminaire, sous son seul contrôle, pour "abus de biens sociaux". Faute d'avoir été entendu, Me Morice a de nouveau déposé plainte, le 15 juin, auprès du doyen des juges d'instruction, Françoise Desset, déjà saisie d'une enquête financière sur la DCN. La juge devra décider si la corruption est prescrite ou non et si les familles ont qualité à agir.
Franck Johannès
vendredi 18 juin 2010
Attentat de Karachi : le juge confirme l'existence de rétro-commissions illicites
Le Monde, 18 juin 2010
Le juge Marc Trévidic, chargé de l'enquête sur l'attentat de Karachi en 2002, a confirmé l'existence de "rétro-commissions illicites" en marge du contrat de vente de sous-marins au Pakistan, a indiqué vendredi 18 juin 2010 un avocat des parties civiles de l'attentat, Me Olivier Morice, à l'issue d'une réunion avec le juge.
Marc Trévidic a aussi annoncé qu'il demanderait en septembre 2010 la co-désignation d'un juge financier pour explorer cette piste, politico-financière, dans le cas où le parquet refuserait toujours d'ouvrir une procédure distincte.
L'avocat a suggéré que l'actuel chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy à l'époque ministre du budget de M. Balladur (1993-1995) puis directeur de campagne de l'ancien premier ministre, serait au fait des raisons ayant conduit à l'arrêt du versement de commissions.
"Il est clair qu'au plus haut niveau de l'Etat français, on sait parfaitement les motifs qui ont conduit à l'arrêt du versement des commissions", a dit Me Morice, rapportant les propos du juge d'instruction.
Ces commissions versées sur ce contrat pourraient avoir donné lieu à des rétro-commissions pour financer la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995, selon des témoignages et rapports versés au dossier.
La justice soupçonne que l'arrêt du versement des commissions au Pakistan ait été à l'origine de l'attentat le 8 mai 2001 à Karachi. Onze salariés de la Direction des constructions navales, qui travaillaient à la construction de ces sous-marins, avaient alors trouvé la mort.
"MANQUE DE MOYENS"
Les familles des victimes ont été reçues vendredi matin par le juge antiterroriste pour faire le point sur l'enquête.
L'an dernier, une première réunion avait marqué un tournant majeur dans l'affaire puisque les juges avaient annoncé aux parties civiles qu'ils réorientaient l'enquête vers la piste de représailles pakistanaises après l'arrêt du versement des commissions sur le contrat de vente de sous-marins Agosta au Pakistan. Le juge a confirmé que la seule piste "crédible" envisagée était "la piste financière", a rapporté Me Morice.
Le juge Trévidic, qui a réorienté son enquête vers un arrêt du versement de commissions sur un contrat de vente de sous-marins comme mobile de l'attentat, a par ailleurs "stigmatisé le fait qu'il était seul, qu'il manquait de moyens pour enquêter", selon Me Olivier Morice.
"Le juge a regretté l'absence de moyens donnés pour faire éclater la vérité et notamment un certain manque de coopération de la DCRI (la Direction centrale du renseignement intérieur, fusion de la DST et des Renseignements généraux)", a ajouté l'avocat.
Les familles de victimes de l'attentat de Karachi (Pakistan) ont saisi l'occasion de cette réunion pour critiquer Yves Jannier, le magistrat à la tête du pôle antiterroriste du tribunal de Paris, auquel elles reprochent de ne pas enquêter sur la piste d'un mobile financier à l'origine de l'attentat.
"Le juge Trévidic nous a expliqué qu'Yves Jannier ne croyait pas à la thèse d'un mobile financier pour expliquer l'attentat, et que par conséquent il avait décidé de ne pas travailler sur cette thèse", a déploré Magali Drouet, fille d'une des victimes de l'attentat.
"Il y a deux juges mais il y en a un dont on se demande ce qu'il fait là", a-t-elle ajouté, regrettant également l'absence du procureur de Paris, Jean-Claude Marin, qui a publié un communiqué cette semaine, estimant que selon lui les faits sont prescrits.
Le juge Marc Trévidic, chargé de l'enquête sur l'attentat de Karachi en 2002, a confirmé l'existence de "rétro-commissions illicites" en marge du contrat de vente de sous-marins au Pakistan, a indiqué vendredi 18 juin 2010 un avocat des parties civiles de l'attentat, Me Olivier Morice, à l'issue d'une réunion avec le juge.
Marc Trévidic a aussi annoncé qu'il demanderait en septembre 2010 la co-désignation d'un juge financier pour explorer cette piste, politico-financière, dans le cas où le parquet refuserait toujours d'ouvrir une procédure distincte.
L'avocat a suggéré que l'actuel chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy à l'époque ministre du budget de M. Balladur (1993-1995) puis directeur de campagne de l'ancien premier ministre, serait au fait des raisons ayant conduit à l'arrêt du versement de commissions.
"Il est clair qu'au plus haut niveau de l'Etat français, on sait parfaitement les motifs qui ont conduit à l'arrêt du versement des commissions", a dit Me Morice, rapportant les propos du juge d'instruction.
Ces commissions versées sur ce contrat pourraient avoir donné lieu à des rétro-commissions pour financer la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995, selon des témoignages et rapports versés au dossier.
La justice soupçonne que l'arrêt du versement des commissions au Pakistan ait été à l'origine de l'attentat le 8 mai 2001 à Karachi. Onze salariés de la Direction des constructions navales, qui travaillaient à la construction de ces sous-marins, avaient alors trouvé la mort.
"MANQUE DE MOYENS"
Les familles des victimes ont été reçues vendredi matin par le juge antiterroriste pour faire le point sur l'enquête.
L'an dernier, une première réunion avait marqué un tournant majeur dans l'affaire puisque les juges avaient annoncé aux parties civiles qu'ils réorientaient l'enquête vers la piste de représailles pakistanaises après l'arrêt du versement des commissions sur le contrat de vente de sous-marins Agosta au Pakistan. Le juge a confirmé que la seule piste "crédible" envisagée était "la piste financière", a rapporté Me Morice.
Le juge Trévidic, qui a réorienté son enquête vers un arrêt du versement de commissions sur un contrat de vente de sous-marins comme mobile de l'attentat, a par ailleurs "stigmatisé le fait qu'il était seul, qu'il manquait de moyens pour enquêter", selon Me Olivier Morice.
"Le juge a regretté l'absence de moyens donnés pour faire éclater la vérité et notamment un certain manque de coopération de la DCRI (la Direction centrale du renseignement intérieur, fusion de la DST et des Renseignements généraux)", a ajouté l'avocat.
Les familles de victimes de l'attentat de Karachi (Pakistan) ont saisi l'occasion de cette réunion pour critiquer Yves Jannier, le magistrat à la tête du pôle antiterroriste du tribunal de Paris, auquel elles reprochent de ne pas enquêter sur la piste d'un mobile financier à l'origine de l'attentat.
"Le juge Trévidic nous a expliqué qu'Yves Jannier ne croyait pas à la thèse d'un mobile financier pour expliquer l'attentat, et que par conséquent il avait décidé de ne pas travailler sur cette thèse", a déploré Magali Drouet, fille d'une des victimes de l'attentat.
"Il y a deux juges mais il y en a un dont on se demande ce qu'il fait là", a-t-elle ajouté, regrettant également l'absence du procureur de Paris, Jean-Claude Marin, qui a publié un communiqué cette semaine, estimant que selon lui les faits sont prescrits.
mercredi 16 juin 2010
Karachi: Les secrets d’Etat de Jean-Marie Boivin
Le Parisien, 16 juin 2010 - Élisabeth Fleury et Nicolas Jacquard
Jean-Marie Boivin entrouvre la porte de son petit appartement, et la claque aussitôt. Pas question de répondre aux questions d’un journaliste. Cet homme, inconnu du grand public, est au cœur du scandale des ventes d’armes au Pakistan. C’est par ses sociétés offshore qu’auraient transité les commissions occultes versées en marge de ce contrat et susceptibles d’avoir financé la campagne d’Edouard Balladur en 1995.
Comme Alfred Sirven, qui prétendait au temps de l’affaire Elf pouvoir fait « sauter la République », Boivin est le détenteur de véritables secrets d’Etat…
On sait peu de chose de cet homme discret, né il y a cinquante-six ans à Troyes, mais qui a acquis récemment la nationalité luxembourgeoise. On le dit très proche du grand-duc lui-même, dont l’amitié lui servirait de sésame.
Les deux hommes ont souvent voyagé ensemble car Boivin parcourt le globe, de Singapour à la Thaïlande en passant par les Caraïbes.
« Il dispose d’un réseau international de relations tout à fait impressionnant », note Gérard-Philippe Ménayas, l’ancien directeur financier de la Direction des constructions navales (DCN), qui fut son donneur d’ordres.
Ingénieur de formation, militaire de carrière, parlant couramment espagnol, anglais, allemand et portugais, il fut d’abord traducteur pour le chef d’état-major de l’armée de l’air français, avant de devenir aide de camp du futur patron de la Direction du renseignement militaire.
Son mode de vie modeste intrigue
C’est par l’intermédiaire de son frère, proche du PDG de la DCN de l’époque, que Boivin aurait été recruté par l’entreprise publique, indique un spécialiste du renseignement. On est à l’orée des années 1990. Ses talents en matière de circuits financiers vont alors être pleinement exploités (lire ci-dessous).
Agosta, Bravo, Sawari : à l’occasion de ces grands contrats, signés avec le Pakistan, Taïwan ou l’Arabie saoudite, des dizaines de millions d’euros de commissions occultes transitent par ses structures. A partir de 2004, Jean-Marie Boivin décide de monnayer au prix fort ses secrets.
Monsieur Commissions réclame par lettres aux plus hautes instances de l’Etat français la somme de 8 M€ d’euros, après qu’on lui en eut proposé 610000. A-t-il touché l’argent exigé? Nul ne le sait.
Mais le Boivin potentiellement millionnaire du Luxembourg apparaît aux antipodes de l’homme qui a pris ses quartiers rue de l’Exposition, à deux pas du Champ-de-Mars.
Le pied-à-terre qu’il occupe appartient à ses parents. Son propre appartement, situé à l’étage au-dessus, est loué. Il a acquis deux autres biens dans le même immeuble, cette fois par la société Vorn SA, l’une de ses structures luxembourgeoises. Mais son mode de vie, modeste et rangé, intrigue.
« Son emploi du temps, note une voisine, est réglé comme du papier à musique. » Deux ou trois jours par semaine en France, Jean-Marie Boivin enchaîne ensuite avec le Luxembourg, avant de rendre visite, presque chaque week-end, à ses parents en province.
« Il s’habille de manière très quelconque et va toujours chercher son sandwich à la boulangerie », reprend cette riveraine. Célibataire endurci, Jean-Marie Boivin traîne, dans son sillage, une aura de mystère. Ses voisins sourient de le voir souvent muni d’un sac en plastique aller jeter ses poubelles ailleurs que dans l’immeuble. Certains sont en conflit avec lui. « Il n’entretient pas ses logements, s’agace cette riveraine, et veut faire payer à la copropriété. Il ne reçoit personne,et n’a jamais voulu que quelqu’un entre chez lui pour relever les compteurs d’eau. »
Est-il l’Alfred Sirven des marchands d’armes ou « un simple écran de fumée », comme le sous-entendent certains acteurs du dossier? Entendu par le juge Marc Trévidic en octobre dernier, Jean-Marie Boivin avait minimisé son rôle.
Jean-Marie Boivin entrouvre la porte de son petit appartement, et la claque aussitôt. Pas question de répondre aux questions d’un journaliste. Cet homme, inconnu du grand public, est au cœur du scandale des ventes d’armes au Pakistan. C’est par ses sociétés offshore qu’auraient transité les commissions occultes versées en marge de ce contrat et susceptibles d’avoir financé la campagne d’Edouard Balladur en 1995.
Comme Alfred Sirven, qui prétendait au temps de l’affaire Elf pouvoir fait « sauter la République », Boivin est le détenteur de véritables secrets d’Etat…
On sait peu de chose de cet homme discret, né il y a cinquante-six ans à Troyes, mais qui a acquis récemment la nationalité luxembourgeoise. On le dit très proche du grand-duc lui-même, dont l’amitié lui servirait de sésame.
Les deux hommes ont souvent voyagé ensemble car Boivin parcourt le globe, de Singapour à la Thaïlande en passant par les Caraïbes.
« Il dispose d’un réseau international de relations tout à fait impressionnant », note Gérard-Philippe Ménayas, l’ancien directeur financier de la Direction des constructions navales (DCN), qui fut son donneur d’ordres.
Ingénieur de formation, militaire de carrière, parlant couramment espagnol, anglais, allemand et portugais, il fut d’abord traducteur pour le chef d’état-major de l’armée de l’air français, avant de devenir aide de camp du futur patron de la Direction du renseignement militaire.
Son mode de vie modeste intrigue
C’est par l’intermédiaire de son frère, proche du PDG de la DCN de l’époque, que Boivin aurait été recruté par l’entreprise publique, indique un spécialiste du renseignement. On est à l’orée des années 1990. Ses talents en matière de circuits financiers vont alors être pleinement exploités (lire ci-dessous).
Agosta, Bravo, Sawari : à l’occasion de ces grands contrats, signés avec le Pakistan, Taïwan ou l’Arabie saoudite, des dizaines de millions d’euros de commissions occultes transitent par ses structures. A partir de 2004, Jean-Marie Boivin décide de monnayer au prix fort ses secrets.
Monsieur Commissions réclame par lettres aux plus hautes instances de l’Etat français la somme de 8 M€ d’euros, après qu’on lui en eut proposé 610000. A-t-il touché l’argent exigé? Nul ne le sait.
Mais le Boivin potentiellement millionnaire du Luxembourg apparaît aux antipodes de l’homme qui a pris ses quartiers rue de l’Exposition, à deux pas du Champ-de-Mars.
Le pied-à-terre qu’il occupe appartient à ses parents. Son propre appartement, situé à l’étage au-dessus, est loué. Il a acquis deux autres biens dans le même immeuble, cette fois par la société Vorn SA, l’une de ses structures luxembourgeoises. Mais son mode de vie, modeste et rangé, intrigue.
« Son emploi du temps, note une voisine, est réglé comme du papier à musique. » Deux ou trois jours par semaine en France, Jean-Marie Boivin enchaîne ensuite avec le Luxembourg, avant de rendre visite, presque chaque week-end, à ses parents en province.
« Il s’habille de manière très quelconque et va toujours chercher son sandwich à la boulangerie », reprend cette riveraine. Célibataire endurci, Jean-Marie Boivin traîne, dans son sillage, une aura de mystère. Ses voisins sourient de le voir souvent muni d’un sac en plastique aller jeter ses poubelles ailleurs que dans l’immeuble. Certains sont en conflit avec lui. « Il n’entretient pas ses logements, s’agace cette riveraine, et veut faire payer à la copropriété. Il ne reçoit personne,et n’a jamais voulu que quelqu’un entre chez lui pour relever les compteurs d’eau. »
Est-il l’Alfred Sirven des marchands d’armes ou « un simple écran de fumée », comme le sous-entendent certains acteurs du dossier? Entendu par le juge Marc Trévidic en octobre dernier, Jean-Marie Boivin avait minimisé son rôle.
Attentat de Karachi : l’homme qui fait peur au pouvoir
Le Parisien, 16 juin 2010
Jean-Marie Boivin, l’homme de l’ombre du contrat de vente d’armes au Pakistan, est convoqué aujourd’hui par les juges. Il aurait joué un rôle dans le financement de la campagne d’Edouard Balladur.
Homme clé des circuits financiers occultes, âme damnée de la Direction des constructions navales (DCN), chef d’orchestre de la grande valse des millions distribués en marge des contrats d’armement, Jean-Marie Boivin, 56 ans, est convoqué aujourd’hui par les juges financiers Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin en vue d’une éventuelle mise en examen.
Mais nul ne sait s’il fera le déplacement. « S’il vient, il ne dira rien, pronostique déjà une source proche du dossier. Ce n’est pas dans son intérêt. »
Patron d’une myriade de sociétés offshore par lesquelles transitait l’argent noir des contrats, les confidences de Jean-Marie Boivin ont de quoi inquiéter au plus haut sommet de l’Etat.
La création en 1993 de la principale de ces structures, Heine SA, n’a pu se faire sans l’aval de Nicolas Sarkozy, alors ministre du Budget. Sorte de « centrale de distribution des commissions », selon un spécialiste de la criminalité financière, cette petite société fait de Jean-Marie Boivin l’interface entre la DCN et ses intermédiaires chargés, sur place, d’emporter les marchés. En marge du contrat Agosta signé avec le Pakistan, Heine SA aurait également joué un rôle dans le financement de la campagne d’Edouard Balladur en 1995, avec le versement des rétrocommissions.
L’étau judiciaire se resserre
Entendu une première fois par le juge antiterroriste Marc Trévidic, Boivin a minimisé son rôle. « Je ne voyais pas les contrats, je ne négociais pas non plus avec les intermédiaires, mais je me doutais bien que les sommes qui passaient par le Luxembourg étaient en lien avec les contrats précédemment signés par la DCNI », a-t-il indiqué en octobre dernier.
L’enquête des juges Desset et Hullin, que le parquet veut limiter à d’éventuels « abus de biens sociaux », permettra-t-elle d’en savoir plus? Une chose est sûre : l’étau judiciaire, peu à peu, se resserre. Jeudi dernier, des policiers financiers ont ainsi perquisitionné au domicile parisien de Ziad Takieddine, l’un des intermédiaires du contrat Agosta.
Jean-Marie Boivin, l’homme de l’ombre du contrat de vente d’armes au Pakistan, est convoqué aujourd’hui par les juges. Il aurait joué un rôle dans le financement de la campagne d’Edouard Balladur.
Homme clé des circuits financiers occultes, âme damnée de la Direction des constructions navales (DCN), chef d’orchestre de la grande valse des millions distribués en marge des contrats d’armement, Jean-Marie Boivin, 56 ans, est convoqué aujourd’hui par les juges financiers Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin en vue d’une éventuelle mise en examen.
Mais nul ne sait s’il fera le déplacement. « S’il vient, il ne dira rien, pronostique déjà une source proche du dossier. Ce n’est pas dans son intérêt. »
Patron d’une myriade de sociétés offshore par lesquelles transitait l’argent noir des contrats, les confidences de Jean-Marie Boivin ont de quoi inquiéter au plus haut sommet de l’Etat.
La création en 1993 de la principale de ces structures, Heine SA, n’a pu se faire sans l’aval de Nicolas Sarkozy, alors ministre du Budget. Sorte de « centrale de distribution des commissions », selon un spécialiste de la criminalité financière, cette petite société fait de Jean-Marie Boivin l’interface entre la DCN et ses intermédiaires chargés, sur place, d’emporter les marchés. En marge du contrat Agosta signé avec le Pakistan, Heine SA aurait également joué un rôle dans le financement de la campagne d’Edouard Balladur en 1995, avec le versement des rétrocommissions.
L’étau judiciaire se resserre
Entendu une première fois par le juge antiterroriste Marc Trévidic, Boivin a minimisé son rôle. « Je ne voyais pas les contrats, je ne négociais pas non plus avec les intermédiaires, mais je me doutais bien que les sommes qui passaient par le Luxembourg étaient en lien avec les contrats précédemment signés par la DCNI », a-t-il indiqué en octobre dernier.
L’enquête des juges Desset et Hullin, que le parquet veut limiter à d’éventuels « abus de biens sociaux », permettra-t-elle d’en savoir plus? Une chose est sûre : l’étau judiciaire, peu à peu, se resserre. Jeudi dernier, des policiers financiers ont ainsi perquisitionné au domicile parisien de Ziad Takieddine, l’un des intermédiaires du contrat Agosta.
lundi 7 juin 2010
Karachi : des courriers compromettants pour l'Etat français
Le Monde, 7 juin 2010
Les gérants de Heine, une société offshore par laquelle transitaient des commissions sur des contrats d'armement, suspectées d'être à l'origine de l'attentat de Karachi, ont écrit des courriers aux plus hautes autorités françaises, dont Nicolas Sarkozy, afin de réclamer des fonds à l'Etat français, rapportent des sources proches du dossier, citées anonymement par l'AFP.
Dans ces courriers rédigés entre 2006 et 2008, dont fait état Le Parisien lundi 7 juin, les gérants de Heine SA, s'inquiètent de l'avenir de cette société et demandent la marche à suivre. Plusieurs de ces lettres, également adressées à Jacques Chirac, ont été saisies par des policiers luxembourgeois à la demande de la justice française.
Créée en 1994 avec l'aval de Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, Heine est utilisée par la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCN) pour verser les commissions aux intermédiaires sur les contrats d'armement, légales jusqu'en 2000.
L'un des courriers, écrit le 29 novembre 2006 à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, laisse supposer une relation entre celui-ci et Heine. "Votre lettre du 28 septembre dernier nous est bien parvenue. Mais à ce jour elle n'a pas été suivie d'effets", lui écrivent ses administrateurs pour qui "il y a une grande urgence à agir".
"DE TRÈS GROS MONTANTS ONT CIRCULÉ ENTRE LA DCN ET HEINE"
La vente de sous-marins au Pakistan en 1994, au cœur de l'enquête sur l'attentat de Karachi en 2002, laisse supposer, selon plusieurs témoins, l'existence de rétrocommissions (illégales) en faveur de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995, ce que l'ancien premier ministre dément.
Dans une autre lettre à Jacques Chirac datée du 26 avril 2006, l'un des administrateurs, Yves Schmidt, rappelle que "de très gros montants ont circulé entre la DCN et Heine SA".
"J'attire votre attention sur la personnalité des destinataires, des sommes versées", écrit-il au chef de l'Etat de façon sibylline. Peu après son élection, Jacques Chirac avait ordonné que soient stoppés les versements de commissions pouvant donner lieu à des rétrocommissions.
Les dirigeants de Heine ont également écrit en janvier 2007 à Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense, pour solliciter un rendez-vous, et en février 2008 à François Pérol, ancien administrateur de DCN et alors secrétaire général adjoint de l'Elysée.
Les gérants de Heine, une société offshore par laquelle transitaient des commissions sur des contrats d'armement, suspectées d'être à l'origine de l'attentat de Karachi, ont écrit des courriers aux plus hautes autorités françaises, dont Nicolas Sarkozy, afin de réclamer des fonds à l'Etat français, rapportent des sources proches du dossier, citées anonymement par l'AFP.
Dans ces courriers rédigés entre 2006 et 2008, dont fait état Le Parisien lundi 7 juin, les gérants de Heine SA, s'inquiètent de l'avenir de cette société et demandent la marche à suivre. Plusieurs de ces lettres, également adressées à Jacques Chirac, ont été saisies par des policiers luxembourgeois à la demande de la justice française.
Créée en 1994 avec l'aval de Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, Heine est utilisée par la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCN) pour verser les commissions aux intermédiaires sur les contrats d'armement, légales jusqu'en 2000.
L'un des courriers, écrit le 29 novembre 2006 à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, laisse supposer une relation entre celui-ci et Heine. "Votre lettre du 28 septembre dernier nous est bien parvenue. Mais à ce jour elle n'a pas été suivie d'effets", lui écrivent ses administrateurs pour qui "il y a une grande urgence à agir".
"DE TRÈS GROS MONTANTS ONT CIRCULÉ ENTRE LA DCN ET HEINE"
La vente de sous-marins au Pakistan en 1994, au cœur de l'enquête sur l'attentat de Karachi en 2002, laisse supposer, selon plusieurs témoins, l'existence de rétrocommissions (illégales) en faveur de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995, ce que l'ancien premier ministre dément.
Dans une autre lettre à Jacques Chirac datée du 26 avril 2006, l'un des administrateurs, Yves Schmidt, rappelle que "de très gros montants ont circulé entre la DCN et Heine SA".
"J'attire votre attention sur la personnalité des destinataires, des sommes versées", écrit-il au chef de l'Etat de façon sibylline. Peu après son élection, Jacques Chirac avait ordonné que soient stoppés les versements de commissions pouvant donner lieu à des rétrocommissions.
Les dirigeants de Heine ont également écrit en janvier 2007 à Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense, pour solliciter un rendez-vous, et en février 2008 à François Pérol, ancien administrateur de DCN et alors secrétaire général adjoint de l'Elysée.
dimanche 6 juin 2010
Karachi : Sarkozy mis en cause par la police luxembourgeoise
Le parisien, 3 juin 2010
Selon les enquêteurs du grand-duché, le chef de l’Etat aurait participé à desmontages financiers occultes pour financer la campagne d’Edouard Balladur.
Si le chef de l’Etat n’est nullement visé par la justice, son nom revient à intervalles réguliers en marge de l’enquête sur l’attentat de Karachi. Hier, le site Mediapart.fr a ainsi révélé l’existence d’un rapport de la police judiciaire luxembourgeoise, mettant directement en cause le président de la République.
Selon ce document, Nicolas Sarkozy aurait supervisé la création d’une société luxembourgeoise par laquelle auraient transité les commissions et rétrocommissions dans le cadre d’un contrat de vente de sous-marins au Pakistan.
Que reproche la police luxembourgeoise à Nicolas Sarkozy? En 1994, au moment où est signé le contrat, Nicolas Sarkozy est ministre du Budget.
Pour faire circuler les commissions, une société offshore, baptisée Heine, est utilisée, ainsi qu’une autre structure, du nom d’Eurolux. Elles auraient vu passer au moins 100 millions de francs (15 M€).
« Les accords sur la création de ces sociétés semblaient venir directement de M. le Premier ministre, Edouard Balladur, et de M. le ministre des Finances, Nicolas Sarkozy », analysent les enquêteurs du grand-duché, qui notent, plus loin, qu'« une partie des fonds qui sont passés par le Luxembourg reviennent en France pour le financement de campagnes politiques françaises ». « Comme les commissions versées sont déclarées au fisc, le ministre des Finances est forcément au courant de tous ces flux financiers », nous confiait récemment un fin connaisseur des grands contrats d’armement.
D’où vient ce rapport? Fin 2008, le Luxembourg est saisi d’une demande d’enquête lancée par les juges Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin, qui instruisent une affaire de corruption à la DCN (la Direction des constructions navales), le fabricant des sous-marins. Une synthèse est tout de même réalisée en janvier 2010. D’après une source luxembourgeoise, « elle a été transmise dès février au parquet général de Paris ». Mais ce n’est qu’en fin de semaine dernière qu’elle aurait été remise aux deux juges d’instruction concernés.
Quelles peuvent être les conséquences? De son côté, le juge Marc Trévidic enquête sur les causes de l’attentat. Le magistrat privilégie l’hypothèse d’un arrêt du versement des commissions qui aurait pu provoquer une mesure de rétorsion des Pakistanais, et la mort des onze salariés français de la DCN en 2002. Mais hier, il n’avait pas encore obtenu officiellement une copie de la synthèse.
Pour Me Olivier Morice, avocat de six familles de victimes, ce rapport de police « montre que Nicolas Sarkozy est au cœur de la corruption et qu’il a menti à ces familles ».
« Mais c’est bien la première fois qu’on donne du crédit au Luxembourg en matière de lutte contre la corruption, ironise Me Olivier Pardo, l’avocat de Ziad Takieddine, un intermédiaire supposé. Dans cette synthèse, il n’y a que des on croit que, il semblerait que…, bref absolument aucune preuve. »
De fait, les enquêteurs luxembourgeois reconnaissent que les documents saisis sont « entièrement vides de noms » et félicitent l’auteur de ce montage financier pour « son travail méticuleux, en avance sur son temps ».
Selon les enquêteurs du grand-duché, le chef de l’Etat aurait participé à desmontages financiers occultes pour financer la campagne d’Edouard Balladur.
Si le chef de l’Etat n’est nullement visé par la justice, son nom revient à intervalles réguliers en marge de l’enquête sur l’attentat de Karachi. Hier, le site Mediapart.fr a ainsi révélé l’existence d’un rapport de la police judiciaire luxembourgeoise, mettant directement en cause le président de la République.
Selon ce document, Nicolas Sarkozy aurait supervisé la création d’une société luxembourgeoise par laquelle auraient transité les commissions et rétrocommissions dans le cadre d’un contrat de vente de sous-marins au Pakistan.
Que reproche la police luxembourgeoise à Nicolas Sarkozy? En 1994, au moment où est signé le contrat, Nicolas Sarkozy est ministre du Budget.
Pour faire circuler les commissions, une société offshore, baptisée Heine, est utilisée, ainsi qu’une autre structure, du nom d’Eurolux. Elles auraient vu passer au moins 100 millions de francs (15 M€).
« Les accords sur la création de ces sociétés semblaient venir directement de M. le Premier ministre, Edouard Balladur, et de M. le ministre des Finances, Nicolas Sarkozy », analysent les enquêteurs du grand-duché, qui notent, plus loin, qu'« une partie des fonds qui sont passés par le Luxembourg reviennent en France pour le financement de campagnes politiques françaises ». « Comme les commissions versées sont déclarées au fisc, le ministre des Finances est forcément au courant de tous ces flux financiers », nous confiait récemment un fin connaisseur des grands contrats d’armement.
D’où vient ce rapport? Fin 2008, le Luxembourg est saisi d’une demande d’enquête lancée par les juges Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin, qui instruisent une affaire de corruption à la DCN (la Direction des constructions navales), le fabricant des sous-marins. Une synthèse est tout de même réalisée en janvier 2010. D’après une source luxembourgeoise, « elle a été transmise dès février au parquet général de Paris ». Mais ce n’est qu’en fin de semaine dernière qu’elle aurait été remise aux deux juges d’instruction concernés.
Quelles peuvent être les conséquences? De son côté, le juge Marc Trévidic enquête sur les causes de l’attentat. Le magistrat privilégie l’hypothèse d’un arrêt du versement des commissions qui aurait pu provoquer une mesure de rétorsion des Pakistanais, et la mort des onze salariés français de la DCN en 2002. Mais hier, il n’avait pas encore obtenu officiellement une copie de la synthèse.
Pour Me Olivier Morice, avocat de six familles de victimes, ce rapport de police « montre que Nicolas Sarkozy est au cœur de la corruption et qu’il a menti à ces familles ».
« Mais c’est bien la première fois qu’on donne du crédit au Luxembourg en matière de lutte contre la corruption, ironise Me Olivier Pardo, l’avocat de Ziad Takieddine, un intermédiaire supposé. Dans cette synthèse, il n’y a que des on croit que, il semblerait que…, bref absolument aucune preuve. »
De fait, les enquêteurs luxembourgeois reconnaissent que les documents saisis sont « entièrement vides de noms » et félicitent l’auteur de ce montage financier pour « son travail méticuleux, en avance sur son temps ».
jeudi 3 juin 2010
Karachi : Sarkozy cité dans un rapport de la police luxembourgeoise
Le Monde, 2 juin 2010
Nicolas Sarkozy a-t-il participé, en tant que ministre du budget, à un système de financement occulte pour la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 ? C'est ce que présume, sans pour autant en apporter la preuve, la police luxembourgeoise dans un rapport datant de janvier 2010. Ce document se plonge dans les arcanes des commissions versées lors de la vente de sous-marins français au Pakistan en 1994.
L'arrêt du paiement de ces commissions à des militaires pakistanais, décidé en 1996 par Jacques Chirac pour mettre fin au système illégal de rétro-commmissions versées en marge des contrats d'armement, est jugé susceptible d'avoir servi de mobile à l'attentat de Karachi en 2002, qui avait tué quatorze personnes dont onze Français. Le juge antiterroriste Marc Trévidic avait qualifié de "cruellement logique" l'hypothèse de représailles des services secrets pakistanais, suite à cette décision.
Mais ces commissions (environ 10 % des 826 millions d'euros dégagés à l'époque, utilisés comme contreparties financières pour les personnes favorisant la signature des contrats) sont également à la base d'importants montages financiers qui ont, entre 1993 et 1995, transité par le Luxembourg.
Le rapport de la police luxembourgeoise établit un lien direct entre Nicolas Sarkozy et des pratiques illégales de sociétés écrans, qui auraient participé au financement de la campagne présidentielle de 1995.
LA SOCIETE HEINE AU CENTRE DES SOUPÇONS
Sur demande des juges financiers français Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin, chargés depuis 2008 d'enquêter sur les affaires de corruption à la Direction des constructions navales (DCN, qui a construit et livré les sous-marins au Pakistan), la police luxembourgeoise s'est chargée d'éplucher les comptes de la société Heine : un établissement "offshore" du Luxembourg, créé en 1994 par la DCN et dirigé par Jean-Marie Boivin, homme clé de la DCN.
Selon le rapport des enquêteurs du Grand-Duché, l'actuel chef de l'Etat français aurait "directement" participé à la mise en place de Heine.
"Un document (...) fait état de l'historique et du fonctionnement des sociétés Heine et Eurolux [société jumelle de Heine]. Selon ce document, les accords sur la création des sociétés semblaient venir directement de M. le premier ministre Balladur et de M. le ministre des finances Nicolas Sarkozy."
Pour les enquêteurs luxembourgeois, qui détaillent les flux financiers transitant par Heine et Eurolux, l'utilisation de ces sociétés a notamment servi à la redistribution, en France, des rétro-commissions issues de la vente des sous-marins au Pakistan.
Un virement de 14,7 millions d'euros (96 millions de francs à l'époque) est notamment pointé du doigt.
La pratique, illégale au regard de la loi française, aurait servi à des hommes politiques pour financer leurs activités politiques.
"En 1995, des références font croire à une forme de rétro-commission [illégale] pour payer des campagnes politiques en France", note le rapport. "Nous soulignons qu'Edouard Balladur était candidat à l'élection présidentielle en 1995 face à Jacques Chirac et était soutenu par une partie du RPR, dont Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua."
En avril 2010, le journal Libération évoquait déjà le versement de près d'1,5 million d'euros à Edouard Balladur pour financer ses activités politiques : de l'argent qui serait issu des mêmes rétro-commissions dégagées lors des contrats entre la DCN et le Pakistan.
Ziad Takieddine, homme d'affaires franco-libanais qui aurait été imposé par le gouvernement de l'époque dans les négociations et accusé d'avoir récupéré de manière "insolite" 33 millions d'euros dans ces commissions, a pour sa part impliqué Jacques Chirac dans ce circuit financier occulte.
"NICOLAS SARKOZY EST AU CŒUR DE LA CORRUPTION"
Des sources proches du dossier, interrogées par l'AFP, ont confirmé la teneur du rapport et les indices relatifs aux rétro-commissions. Mais elles s'interrogeaient sur les éléments ayant conduit les enquêteurs luxembourgeois à conclure à un financement politique. De l'aveu même de ces derniers, la complexité du système ne permet pas de trouver une "preuve concrète de corruption".
Le chef de l'Etat avait qualifié, en juin 2009, de "fable" le soupçon de financement occulte de M. Balladur et demandait "des éléments" de preuve, tels ceux rassemblés par la police luxembourgeoise.
Pour l'avocat de six familles de victimes de l'attentat de Karachi, Me Olivier Morice, qui s'est exprimé sur France Info, "ce rapport montre que Nicolas Sarkozy est au cœur de la corruption et qu'il a menti aux familles". "Nous ne sommes pas en présence d'une fable mais d'un mensonge d'Etat", a estimé l'avocat, ajoutant que "les familles sont indignées et demandent [la] démission" de M. Sarkozy.
Nicolas Sarkozy a-t-il participé, en tant que ministre du budget, à un système de financement occulte pour la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 ? C'est ce que présume, sans pour autant en apporter la preuve, la police luxembourgeoise dans un rapport datant de janvier 2010. Ce document se plonge dans les arcanes des commissions versées lors de la vente de sous-marins français au Pakistan en 1994.
L'arrêt du paiement de ces commissions à des militaires pakistanais, décidé en 1996 par Jacques Chirac pour mettre fin au système illégal de rétro-commmissions versées en marge des contrats d'armement, est jugé susceptible d'avoir servi de mobile à l'attentat de Karachi en 2002, qui avait tué quatorze personnes dont onze Français. Le juge antiterroriste Marc Trévidic avait qualifié de "cruellement logique" l'hypothèse de représailles des services secrets pakistanais, suite à cette décision.
Mais ces commissions (environ 10 % des 826 millions d'euros dégagés à l'époque, utilisés comme contreparties financières pour les personnes favorisant la signature des contrats) sont également à la base d'importants montages financiers qui ont, entre 1993 et 1995, transité par le Luxembourg.
Le rapport de la police luxembourgeoise établit un lien direct entre Nicolas Sarkozy et des pratiques illégales de sociétés écrans, qui auraient participé au financement de la campagne présidentielle de 1995.
LA SOCIETE HEINE AU CENTRE DES SOUPÇONS
Sur demande des juges financiers français Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin, chargés depuis 2008 d'enquêter sur les affaires de corruption à la Direction des constructions navales (DCN, qui a construit et livré les sous-marins au Pakistan), la police luxembourgeoise s'est chargée d'éplucher les comptes de la société Heine : un établissement "offshore" du Luxembourg, créé en 1994 par la DCN et dirigé par Jean-Marie Boivin, homme clé de la DCN.
Selon le rapport des enquêteurs du Grand-Duché, l'actuel chef de l'Etat français aurait "directement" participé à la mise en place de Heine.
"Un document (...) fait état de l'historique et du fonctionnement des sociétés Heine et Eurolux [société jumelle de Heine]. Selon ce document, les accords sur la création des sociétés semblaient venir directement de M. le premier ministre Balladur et de M. le ministre des finances Nicolas Sarkozy."
Pour les enquêteurs luxembourgeois, qui détaillent les flux financiers transitant par Heine et Eurolux, l'utilisation de ces sociétés a notamment servi à la redistribution, en France, des rétro-commissions issues de la vente des sous-marins au Pakistan.
Un virement de 14,7 millions d'euros (96 millions de francs à l'époque) est notamment pointé du doigt.
La pratique, illégale au regard de la loi française, aurait servi à des hommes politiques pour financer leurs activités politiques.
"En 1995, des références font croire à une forme de rétro-commission [illégale] pour payer des campagnes politiques en France", note le rapport. "Nous soulignons qu'Edouard Balladur était candidat à l'élection présidentielle en 1995 face à Jacques Chirac et était soutenu par une partie du RPR, dont Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua."
En avril 2010, le journal Libération évoquait déjà le versement de près d'1,5 million d'euros à Edouard Balladur pour financer ses activités politiques : de l'argent qui serait issu des mêmes rétro-commissions dégagées lors des contrats entre la DCN et le Pakistan.
Ziad Takieddine, homme d'affaires franco-libanais qui aurait été imposé par le gouvernement de l'époque dans les négociations et accusé d'avoir récupéré de manière "insolite" 33 millions d'euros dans ces commissions, a pour sa part impliqué Jacques Chirac dans ce circuit financier occulte.
"NICOLAS SARKOZY EST AU CŒUR DE LA CORRUPTION"
Des sources proches du dossier, interrogées par l'AFP, ont confirmé la teneur du rapport et les indices relatifs aux rétro-commissions. Mais elles s'interrogeaient sur les éléments ayant conduit les enquêteurs luxembourgeois à conclure à un financement politique. De l'aveu même de ces derniers, la complexité du système ne permet pas de trouver une "preuve concrète de corruption".
Le chef de l'Etat avait qualifié, en juin 2009, de "fable" le soupçon de financement occulte de M. Balladur et demandait "des éléments" de preuve, tels ceux rassemblés par la police luxembourgeoise.
Pour l'avocat de six familles de victimes de l'attentat de Karachi, Me Olivier Morice, qui s'est exprimé sur France Info, "ce rapport montre que Nicolas Sarkozy est au cœur de la corruption et qu'il a menti aux familles". "Nous ne sommes pas en présence d'une fable mais d'un mensonge d'Etat", a estimé l'avocat, ajoutant que "les familles sont indignées et demandent [la] démission" de M. Sarkozy.
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