Le Monde, 27 novembre 2008
Le procureur général près la cour de cassation a requis le renvoi de Charles Pasqua devant la Cour de justice de la République (CJR) dans trois dossiers pour lesquels il est mis en cause en qualité d'ancien ministre de l'intérieur dans le gouvernement d'Edouard Balladur (1993-1995).
La première procédure vise l'autorisation d'exploitation accordée par M. Pasqua au casino d'Annemasse en 1994, alors dirigé par un de ses amis, Robert Felicciagi, qui a été assassiné en 2006 à Ajaccio.
Poursuivi par le tribunal correctionnel dans le volet financier de cette affaire pour avoir bénéficié de 1,14 million d'euros destinés à financer sa campagne aux élections européennes de 1999 en contrepartie de cette autorisation, M. Pasqua a été condamné le 12 mars 2008 à dix-huit mois avec sursis. Il a fait appel de ce jugement.
La deuxième procédure est relative au transfert du siège social de GEC-Alsthom à Saint-Ouen, pour lequel le fils de M. Pasqua, Pierre, a été condamné définitivement à un an de prison ferme. L'ancien ministre de l'intérieur est enfin mis en cause dans l'affaire de la SOFREMI - société de vente de matériel de sécurité liée au ministère de l'intérieur - qui a elle aussi donné lieu à une condamnation, frappée d'appel, de Pierre Pasqua, à dix-huit mois de prison ferme en décembre 2007.
Ce réquisitoire, daté du 7 octobre, intervient quatre ans après la saisine de la CJR, seule juridiction autorisée à instruire des dossiers mettant en cause les ministres dans l'exercice de leurs fonctions. Le juge Philippe Courroye avait transmis à la CJR les éléments concernant M. Pasqua dans ces différents dossiers.
Il ne signifie pas pour autant que M. Pasqua va comparaître prochainement devant cette instance. Son avocat, Me Lev Forster, a demandé le 31 octobre la jonction des carnets de l'ancien patron des Renseignements généraux Yves Bertrand au dossier d'instruction, ce qui a pour effet de retarder au minimum de quelques mois la clôture de l'instruction. La commission d'instruction doit ensuite décider de renvoyer ou non M. Pasqua devant la CJR et sa décision est elle-même susceptible d'appel...
Interrogé mercredi 26 novembre, en marge du procès de l'Angolagate dans lequel M. Pasqua comparaît pour trafic d'influence passif et recel d'abus de biens sociaux, l'ancien ministre de l'intérieur a affirmé : "Je crois qu'il n'y a strictement rien. Nous le démontrerons le moment venu."
Pascale Robert-Diard
jeudi 27 novembre 2008
mercredi 6 août 2008
L'affaire des frégates de Taïwan devrait se clore par un non-lieu
Le Monde, 6 août 2008
Le parquet de Paris a confirmé, mercredi 6 août, avoir requis un non-lieu général dans l'affaire de la vente de six frégates à Taïwan, à l'issue d'une enquête sur d'éventuelles rétrocommissions bloquée par le secret-défense, confirmant une information révélée par Le Figaro.
Dans ce réquisitoire, signé le 22 juillet par le procureur de Paris Jean-Claude Marin, le parquet estime que l'instruction menée par les juges Renaud van Ruymbeke et Xavière Simeoni n'a "pas permis d'identifier les bénéficiaires" des éventuelles rétrocommissions, selon cette source. Les juges français cherchaient à savoir depuis 2001 qui, en France, avait éventuellement bénéficié de commissions dans la vente en 1991 de six frégates furtives de type La Fayette à la marine taïwanaise par Thomson-CSF (aujourd'hui Thales) pour 2,8 milliards de dollars.
Les deux magistrats avaient mis fin à leur enquête en octobre 2006, après s'être heurtés à plusieurs reprises au secret-défense en tentant d'identifier les circuits financiers empruntés par ces rétrocommissions supposées. Dans un second volet de cette affaire, joint au dossier principal en 2002, le parquet considère que "la tentative d'escroquerie au jugement n'est pas caractérisée" à l'encontre de Thomson-CSF.
En 1991, six frégates françaises avaient été livrées à Taïwan par le groupe Thomson-CSF (devenu depuis Thales), pour un montant de 2,5 milliards de dollars. Selon le quotidien, le document signé par le magistrat estime que l'instruction n'a pas "mis en évidence l'existence de rétrocommissions" versées à des personnalités en marge de la vente de six frégates par la France à Taïwan en 1991.
900 MILLIONS DE DOLLARS BLOQUÉS
Renaud Van Ruymbeke, qui estimait que 458 millions d'euros de commissions auraient été versés à l'occasion du marché, reconnaissait n'avoir pas pu établir la réalité de rétrocommissions versées à des intermédiaires français. Autre volet : des personnalités ayant des comptes chez Clearstream avaient été accusées par un "corbeau" d'avoir bénéficié de commissions dans cette affaire.
L'affaire a commencé en 1988, lorsque Thomson-CSF tente de vendre six frégates à Taïwan, malgré l'opposition de la Chine. Roland Dumas, alors ministre des affaires étrangères, met son veto. En 1991, le contrat est tout de même conclu, pour une somme de 2,8 milliards d'euros. Deux ans plus tard, éclatent les révélations des centaines de millions de dollars de commissions versées par l'homme d'affaires Andrew Wang, principal intermédiaire du dossier.
Soupçonné d'avoir organisé un système de détournements massifs, Andrew Wang est toujours introuvable. Aujourd'hui encore, 900 millions de dollars sont toujours bloqués dans les banques suisses dans le cadre de cette affaire. Et le contentieux financier fait l'objet d'âpres négociations entre les gouvernements français et taïwanais.
Le parquet de Paris a confirmé, mercredi 6 août, avoir requis un non-lieu général dans l'affaire de la vente de six frégates à Taïwan, à l'issue d'une enquête sur d'éventuelles rétrocommissions bloquée par le secret-défense, confirmant une information révélée par Le Figaro.
Dans ce réquisitoire, signé le 22 juillet par le procureur de Paris Jean-Claude Marin, le parquet estime que l'instruction menée par les juges Renaud van Ruymbeke et Xavière Simeoni n'a "pas permis d'identifier les bénéficiaires" des éventuelles rétrocommissions, selon cette source. Les juges français cherchaient à savoir depuis 2001 qui, en France, avait éventuellement bénéficié de commissions dans la vente en 1991 de six frégates furtives de type La Fayette à la marine taïwanaise par Thomson-CSF (aujourd'hui Thales) pour 2,8 milliards de dollars.
Les deux magistrats avaient mis fin à leur enquête en octobre 2006, après s'être heurtés à plusieurs reprises au secret-défense en tentant d'identifier les circuits financiers empruntés par ces rétrocommissions supposées. Dans un second volet de cette affaire, joint au dossier principal en 2002, le parquet considère que "la tentative d'escroquerie au jugement n'est pas caractérisée" à l'encontre de Thomson-CSF.
En 1991, six frégates françaises avaient été livrées à Taïwan par le groupe Thomson-CSF (devenu depuis Thales), pour un montant de 2,5 milliards de dollars. Selon le quotidien, le document signé par le magistrat estime que l'instruction n'a pas "mis en évidence l'existence de rétrocommissions" versées à des personnalités en marge de la vente de six frégates par la France à Taïwan en 1991.
900 MILLIONS DE DOLLARS BLOQUÉS
Renaud Van Ruymbeke, qui estimait que 458 millions d'euros de commissions auraient été versés à l'occasion du marché, reconnaissait n'avoir pas pu établir la réalité de rétrocommissions versées à des intermédiaires français. Autre volet : des personnalités ayant des comptes chez Clearstream avaient été accusées par un "corbeau" d'avoir bénéficié de commissions dans cette affaire.
L'affaire a commencé en 1988, lorsque Thomson-CSF tente de vendre six frégates à Taïwan, malgré l'opposition de la Chine. Roland Dumas, alors ministre des affaires étrangères, met son veto. En 1991, le contrat est tout de même conclu, pour une somme de 2,8 milliards d'euros. Deux ans plus tard, éclatent les révélations des centaines de millions de dollars de commissions versées par l'homme d'affaires Andrew Wang, principal intermédiaire du dossier.
Soupçonné d'avoir organisé un système de détournements massifs, Andrew Wang est toujours introuvable. Aujourd'hui encore, 900 millions de dollars sont toujours bloqués dans les banques suisses dans le cadre de cette affaire. Et le contentieux financier fait l'objet d'âpres négociations entre les gouvernements français et taïwanais.
mardi 1 avril 2008
Patrick et Isabelle Balkany: Les amis du président
Patrick et Isabelle Balkany: Les amis du président, Le Monde, 1 avril 2008
Au nom d'une amitié de trente ans, le maire de Levallois et son épouse veulent défendre l'héritage de Nicolas Sarkozy dans les Hauts-de-Seine. Mais dans les couloirs de l'Elysée et à l'UMP, ces liens privilégiés intriguent et agacent
Dux gyrophares dans la voiture. Un à l'avant, un à l'arrière. Un gros cigare dès le matin pour lui, 59 ans, une voix de stentor, des militants UMP toujours dans son sillage. Pour elle, 60 ans, tout un style résumé dans son vocabulaire. Une intelligence politique indéniable, un humour de Madame Sans-Gêne et cette manière de raconter sans façon, au retour du dîner d'Etat offert par l'Elysée, le 10 mars, en l'honneur de Shimon Pérès : « Carla était sublime, et quand même, ce cérémonial, ces nappes, cette vaisselle, ça a du genou ! »
Evidemment, une réputation épouvantable. Le nom des Balkany s'inscrit en bonne place depuis dix ans dans les annales judiciaires. Plusieurs condamnations, deux ans d'inéligibilité pour lui, des peines d'emprisonnement avec sursis pour tous deux pour avoir notamment employé du personnel municipal dans leurs domiciles privés. On compte aussi un scandale ridicule lorsqu'une maîtresse porta plainte, en 1997, après que Patrick Balkany l'eut obligée à lui administrer une fellation sous la menace d'un 357 Magnum.
Le couple est cependant solide. Depuis leur rencontre, le 13 décembre 1975, lors d'un match de boxe qui opposait le légendaire Carlos Monzon à Gratien Tonna, il a survécu à tout. Aux disputes, aux séparations, aux avalanches de moqueries dans la presse et à ses deux marionnettes grotesques, tous les soirs, aux « Guignols de l'info ».
Beaucoup de copains dans le show-biz. Des dîners chaleureux presque tous les week-ends, dans leur superbe maison de Giverny. Des chansons, des parties de rire, toujours une petite attention lors des anniversaires. Au retour des vacances, passées à Saint-Martin, dans les Antilles, Isabelle Balkany revient chaque fois les bras chargés de pulls Ralph Lauren qu'elle distribue à chacun : « C'est 50 % moins cher là-bas, dit-elle franchement. Moi, je m'habille chez Monoprix. »
Un ami de trente ans, Nicolas Sarkozy, fidèle malgré les critiques, qu'il balaie souvent d'une phrase : « Ils sont comme ils sont. Pas raffinés, mais courageux. » Chez eux, et dans leurs bureaux respectifs, trônent 20 photos du couple et de « Nicolas », à 25, 40 ou 50 ans, dans tous les lieux, bronzés, en maillot de bain, hilares. On trouve aussi des clichés de leur parrain en politique, Charles Pasqua, avec lequel ils vont régulièrement boire un whisky et dont ils préservent l'influence dans les Hauts-de-Seine.
A Levallois, dont ils ont transformé en vingt-cinq ans l'urbanisme et la sociologie, leur popularité est quasi intacte : 51,5 % encore, au premier tour des municipales. Il est le maire. Elle est son premier adjoint. « On ne fait pas campagne, on se balade », disait Patrick Balkany quelques jours avant l'élection. Au conseil général des Hauts-de-Seine, ils sont plus controversés.
Le président UMP du département, Patrick Devedjian, aurait rêvé de se débarrasser d'Isabelle, qui tient la vice-présidence chargée des collèges. « Les Balkany polluent l'image du 92 », juge Devedjian. « Il a fait une fixette sur moi », rétorque Isabelle, qui affirme que, lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy l'avait encouragée à se présenter à la présidence du conseil général. Depuis, c'est la guerre.
Le 16 mars, Nicolas Sarkozy et son secrétaire général Claude Guéant ont dû recevoir Isabelle Balkany et Alain-Bernard Boulanger, le maire de Villeneuve-la-Garenne, qu'elle voulait propulser à la tête du conseil général, pour leur demander d'arrêter les hostilités. Le 20, le conflit menaçant de tourner au vaudeville public, l'Elysée a dû une nouvelle fois intervenir. Officiellement, les voilà donc réconciliés. Mais Patrick Balkany n'en démord pas : « Le 92 est le département de Nicolas. Il ne peut pas s'en désintéresser. Et nous sommes comme sa famille... »
D'autres, avant Devedjian, s'y sont cassé les dents. La gauche n'a jamais vraiment réussi à inquiéter les Balkany. La droite ne parvient pas à s'en passer. Lors de son premier meeting à Neuilly, le novice David Martinon, parachuté aux municipales, avait osé s'insurger : « Je ne vais tout de même pas inviter ces deux escrocs ! » Le mot leur fut rapporté. Et Martinon, en une phrase, se tira sa première balle dans le pied. Un simple coup d'oeil aux annonces immobilières du coin aurait dû le renseigner : « Levallois-Neuilly. » Les deux villes y sont toujours accolées. On ne prend pas la ville en se mettant à dos ses puissants voisins.
Jean Sarkozy, le fils du président, a fait preuve de plus de subtilité. Dès l'annonce de sa candidature aux cantonales, il est allé visiter les services de la mairie de Levallois. Isabelle s'est improvisée aussitôt directrice de sa campagne et s'est mise derrière son ordinateur. A ses débuts, elle a été chargée des relations publiques d'Europe 1. Depuis, elle connaît la terre entière, et n'a pas son pareil pour rédiger tracts et plaquettes électorales. Lorsque le jeune homme a été élu, les Balkany l'ont aussitôt cornaqué pour lui faire visiter ses nouveaux bureaux.
Ces liens avec la famille Sarkozy intriguent et agacent tout l'UMP. « Ils font commerce de leur amitié avec le président », s'insurge-t-on jusqu'à l'Elysée. Déjà, lorsqu'il était encore chiraquien, au début des années 1990, Patrick Balkany se vantait d'avoir amadoué la secrétaire de Jacques Chirac et de pouvoir ainsi se retrouver « comme par hasard » dans les mêmes hôtels du bout du monde avec l'homme fort du RPR d'alors. Aujourd'hui, on le remarque à chaque voyage officiel, debout derrière « Nicolas » sur la photo.
Isabelle elle-même en rit, parfois. Elle était jusqu'à il y a peu l'une des grandes amies de Cécilia Sarkozy : « Elle est ma presque soeur », disait-elle. Elles ont rompu au lendemain du divorce et de la publication du livre d'Anna Bitton ( Cécilia, Flammarion, 174 p., 16 euros) qui rapportait les propos sévères de Cécilia Sarkozy sur son ex-mari. Lorsque le président est tombé amoureux de Carla Bruni, Isabelle Balkany a dit drôlement à ses amis : « Il va falloir que je fasse ma reconversion. » Cela est moins aisé. Cécilia Sarkozy laissait volontiers sa « presque soeur » raconter dans les médias sa vie privée. Queand Isabelle Balkany a enchaîné les émissions télévisées pour évoquer la nouvelle première dame, l'Elysée s'est chargé, dit un conseiller, « de la débrancher. Elle n'est pas tout à fait du style de Carla Bruni... »
Plus ennuyeux, Patrick Balkany, marchant sur les traces de Charles Pasqua, s'est mis à voyager en Afrique ou à recevoir des émissaires du Gabon, du Congo ou du Tchad. Il a fallu que le Quai d'Orsay, mais aussi les réseaux rivaux menés par l'ancien fidèle de Jacques Foccart, Robert Bourgi, s'en émeuvent pour que Claude Guéant, qui a connu les Balkany quand il était secrétaire général de la préfecture des Hauts-de-Seine et s'en méfie, fasse une petite mise au point publique : « En Afrique, M. Balkany n'est pas l'émissaire du président. » Il n'empêche, être l'ami du chef de l'Etat vaut tous les sésames, au coeur des Etats africains liés à la France et Patrick Balkany y est choyé.
Jamais Nicolas Sarkozy n'a d'ailleurs désavoué publiquement son « pote ». Car il y a entre eux bien plus qu'une amitié de trente ans. « Patrick et Nicolas » se sont rencontrés au RPR, il y a trente ans. Leurs pères, tous deux Hongrois, se connaissaient déjà. Celui de Balkany portait encore, tatoué sur l'avant-bras, la marque des déportés d'Auschwitz et restait auréolé du souvenir d'une glorieuse résistance pendant la guerre. Celui de Sarkozy, immigré en France pour fuir l'avancée des Soviétiques, habite toujours sur la commune de Levallois, dans l'île de la Jatte. Les jours d'élection, s'il s'absente, c'est aux Balkany qu'il donne procuration.
Patrick et Isabelle Balkany vivaient déjà sur un grand pied, lorsqu'ils ont rencontré « Nicolas ». Le père de Patrick était le riche propriétaire des magasins de prêt-à-porter Rety. La famille d'Isabelle, les Smadja, a fait fortune dans l'import-export de caoutchouc. C'est l'un de ses oncles qui racheta les Artistes Associés à Charlie Chaplin ; l'autre, Henri Smadja, fut le dernier patron de Combat, le journal où écrivirent Malraux, Sartre et Camus et, bien plus tard... Isabelle, qui y a fait ses premières armes avec le journaliste Philippe Tesson.
Entre les Sarkozy et les Balkany, il y a eu bien des vacances, des fêtes et beaucoup de « coups » politiques. C'est Patrick, tout juste élu maire de Levallois, qui, ayant appris, le 14 avril 1983 la mort subite d'Achille Peretti, le maire de Neuilly, a téléphoné aussitôt à Nicolas Sarkozy puis à Charles Pasqua pour les informer que la place était à prendre. C'est encore lui qui a aidé Sarkozy à doubler Pasqua, hospitalisé pour une hernie, et à se faire élire maire à la tête de Neuilly par le conseil municipal. C'est toujours lui qui a conseillé à son ami de rejoindre le cabinet d'avocats Claude et Associés, qui avait pour client Levallois. Jamais une campagne électorale ne s'est déroulée sans que l'on voie les Balkany dans le sillage de Sarkozy.
Quand Patrick Balkany a été condamné, en 1996, à quinze mois de prison avec sursis et deux ans d'inéligibilité, beaucoup ont cru que le scandale briserait leur amitié. Nicolas Sarkozy a pourtant continué à voir Isabelle et même Patrick, alors en « exil » à Saint-Martin, et installé leur fils, Alexandre, dans un HLM de Neuilly... « Nicolas se moque que l'on vilipende les Balkany, reconnaît l'ami et conseiller du président Pierre Charon. Il est fidèle en amitié et, en ce sens, il ressemble à Mitterrand. »
Parmi toutes les photos qui les montrent avec celui qui est devenu président, on trouve d'ailleurs, dans le bureau de Patrick Balkany, un petit vide-poche carré, en métal argenté, sans valeur aucune. Sauf pour la petite phrase que Nicolas Sarkozy y fit un jour graver et qu'ils connaissent par coeur : « Du maire au maire, du Hongrois au Hongrois, de l'ami à l'ami. »
Raphaëlle Bacqué
Au nom d'une amitié de trente ans, le maire de Levallois et son épouse veulent défendre l'héritage de Nicolas Sarkozy dans les Hauts-de-Seine. Mais dans les couloirs de l'Elysée et à l'UMP, ces liens privilégiés intriguent et agacent
Dux gyrophares dans la voiture. Un à l'avant, un à l'arrière. Un gros cigare dès le matin pour lui, 59 ans, une voix de stentor, des militants UMP toujours dans son sillage. Pour elle, 60 ans, tout un style résumé dans son vocabulaire. Une intelligence politique indéniable, un humour de Madame Sans-Gêne et cette manière de raconter sans façon, au retour du dîner d'Etat offert par l'Elysée, le 10 mars, en l'honneur de Shimon Pérès : « Carla était sublime, et quand même, ce cérémonial, ces nappes, cette vaisselle, ça a du genou ! »
Evidemment, une réputation épouvantable. Le nom des Balkany s'inscrit en bonne place depuis dix ans dans les annales judiciaires. Plusieurs condamnations, deux ans d'inéligibilité pour lui, des peines d'emprisonnement avec sursis pour tous deux pour avoir notamment employé du personnel municipal dans leurs domiciles privés. On compte aussi un scandale ridicule lorsqu'une maîtresse porta plainte, en 1997, après que Patrick Balkany l'eut obligée à lui administrer une fellation sous la menace d'un 357 Magnum.
Le couple est cependant solide. Depuis leur rencontre, le 13 décembre 1975, lors d'un match de boxe qui opposait le légendaire Carlos Monzon à Gratien Tonna, il a survécu à tout. Aux disputes, aux séparations, aux avalanches de moqueries dans la presse et à ses deux marionnettes grotesques, tous les soirs, aux « Guignols de l'info ».
Beaucoup de copains dans le show-biz. Des dîners chaleureux presque tous les week-ends, dans leur superbe maison de Giverny. Des chansons, des parties de rire, toujours une petite attention lors des anniversaires. Au retour des vacances, passées à Saint-Martin, dans les Antilles, Isabelle Balkany revient chaque fois les bras chargés de pulls Ralph Lauren qu'elle distribue à chacun : « C'est 50 % moins cher là-bas, dit-elle franchement. Moi, je m'habille chez Monoprix. »
Un ami de trente ans, Nicolas Sarkozy, fidèle malgré les critiques, qu'il balaie souvent d'une phrase : « Ils sont comme ils sont. Pas raffinés, mais courageux. » Chez eux, et dans leurs bureaux respectifs, trônent 20 photos du couple et de « Nicolas », à 25, 40 ou 50 ans, dans tous les lieux, bronzés, en maillot de bain, hilares. On trouve aussi des clichés de leur parrain en politique, Charles Pasqua, avec lequel ils vont régulièrement boire un whisky et dont ils préservent l'influence dans les Hauts-de-Seine.
A Levallois, dont ils ont transformé en vingt-cinq ans l'urbanisme et la sociologie, leur popularité est quasi intacte : 51,5 % encore, au premier tour des municipales. Il est le maire. Elle est son premier adjoint. « On ne fait pas campagne, on se balade », disait Patrick Balkany quelques jours avant l'élection. Au conseil général des Hauts-de-Seine, ils sont plus controversés.
Le président UMP du département, Patrick Devedjian, aurait rêvé de se débarrasser d'Isabelle, qui tient la vice-présidence chargée des collèges. « Les Balkany polluent l'image du 92 », juge Devedjian. « Il a fait une fixette sur moi », rétorque Isabelle, qui affirme que, lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy l'avait encouragée à se présenter à la présidence du conseil général. Depuis, c'est la guerre.
Le 16 mars, Nicolas Sarkozy et son secrétaire général Claude Guéant ont dû recevoir Isabelle Balkany et Alain-Bernard Boulanger, le maire de Villeneuve-la-Garenne, qu'elle voulait propulser à la tête du conseil général, pour leur demander d'arrêter les hostilités. Le 20, le conflit menaçant de tourner au vaudeville public, l'Elysée a dû une nouvelle fois intervenir. Officiellement, les voilà donc réconciliés. Mais Patrick Balkany n'en démord pas : « Le 92 est le département de Nicolas. Il ne peut pas s'en désintéresser. Et nous sommes comme sa famille... »
D'autres, avant Devedjian, s'y sont cassé les dents. La gauche n'a jamais vraiment réussi à inquiéter les Balkany. La droite ne parvient pas à s'en passer. Lors de son premier meeting à Neuilly, le novice David Martinon, parachuté aux municipales, avait osé s'insurger : « Je ne vais tout de même pas inviter ces deux escrocs ! » Le mot leur fut rapporté. Et Martinon, en une phrase, se tira sa première balle dans le pied. Un simple coup d'oeil aux annonces immobilières du coin aurait dû le renseigner : « Levallois-Neuilly. » Les deux villes y sont toujours accolées. On ne prend pas la ville en se mettant à dos ses puissants voisins.
Jean Sarkozy, le fils du président, a fait preuve de plus de subtilité. Dès l'annonce de sa candidature aux cantonales, il est allé visiter les services de la mairie de Levallois. Isabelle s'est improvisée aussitôt directrice de sa campagne et s'est mise derrière son ordinateur. A ses débuts, elle a été chargée des relations publiques d'Europe 1. Depuis, elle connaît la terre entière, et n'a pas son pareil pour rédiger tracts et plaquettes électorales. Lorsque le jeune homme a été élu, les Balkany l'ont aussitôt cornaqué pour lui faire visiter ses nouveaux bureaux.
Ces liens avec la famille Sarkozy intriguent et agacent tout l'UMP. « Ils font commerce de leur amitié avec le président », s'insurge-t-on jusqu'à l'Elysée. Déjà, lorsqu'il était encore chiraquien, au début des années 1990, Patrick Balkany se vantait d'avoir amadoué la secrétaire de Jacques Chirac et de pouvoir ainsi se retrouver « comme par hasard » dans les mêmes hôtels du bout du monde avec l'homme fort du RPR d'alors. Aujourd'hui, on le remarque à chaque voyage officiel, debout derrière « Nicolas » sur la photo.
Isabelle elle-même en rit, parfois. Elle était jusqu'à il y a peu l'une des grandes amies de Cécilia Sarkozy : « Elle est ma presque soeur », disait-elle. Elles ont rompu au lendemain du divorce et de la publication du livre d'Anna Bitton ( Cécilia, Flammarion, 174 p., 16 euros) qui rapportait les propos sévères de Cécilia Sarkozy sur son ex-mari. Lorsque le président est tombé amoureux de Carla Bruni, Isabelle Balkany a dit drôlement à ses amis : « Il va falloir que je fasse ma reconversion. » Cela est moins aisé. Cécilia Sarkozy laissait volontiers sa « presque soeur » raconter dans les médias sa vie privée. Queand Isabelle Balkany a enchaîné les émissions télévisées pour évoquer la nouvelle première dame, l'Elysée s'est chargé, dit un conseiller, « de la débrancher. Elle n'est pas tout à fait du style de Carla Bruni... »
Plus ennuyeux, Patrick Balkany, marchant sur les traces de Charles Pasqua, s'est mis à voyager en Afrique ou à recevoir des émissaires du Gabon, du Congo ou du Tchad. Il a fallu que le Quai d'Orsay, mais aussi les réseaux rivaux menés par l'ancien fidèle de Jacques Foccart, Robert Bourgi, s'en émeuvent pour que Claude Guéant, qui a connu les Balkany quand il était secrétaire général de la préfecture des Hauts-de-Seine et s'en méfie, fasse une petite mise au point publique : « En Afrique, M. Balkany n'est pas l'émissaire du président. » Il n'empêche, être l'ami du chef de l'Etat vaut tous les sésames, au coeur des Etats africains liés à la France et Patrick Balkany y est choyé.
Jamais Nicolas Sarkozy n'a d'ailleurs désavoué publiquement son « pote ». Car il y a entre eux bien plus qu'une amitié de trente ans. « Patrick et Nicolas » se sont rencontrés au RPR, il y a trente ans. Leurs pères, tous deux Hongrois, se connaissaient déjà. Celui de Balkany portait encore, tatoué sur l'avant-bras, la marque des déportés d'Auschwitz et restait auréolé du souvenir d'une glorieuse résistance pendant la guerre. Celui de Sarkozy, immigré en France pour fuir l'avancée des Soviétiques, habite toujours sur la commune de Levallois, dans l'île de la Jatte. Les jours d'élection, s'il s'absente, c'est aux Balkany qu'il donne procuration.
Patrick et Isabelle Balkany vivaient déjà sur un grand pied, lorsqu'ils ont rencontré « Nicolas ». Le père de Patrick était le riche propriétaire des magasins de prêt-à-porter Rety. La famille d'Isabelle, les Smadja, a fait fortune dans l'import-export de caoutchouc. C'est l'un de ses oncles qui racheta les Artistes Associés à Charlie Chaplin ; l'autre, Henri Smadja, fut le dernier patron de Combat, le journal où écrivirent Malraux, Sartre et Camus et, bien plus tard... Isabelle, qui y a fait ses premières armes avec le journaliste Philippe Tesson.
Entre les Sarkozy et les Balkany, il y a eu bien des vacances, des fêtes et beaucoup de « coups » politiques. C'est Patrick, tout juste élu maire de Levallois, qui, ayant appris, le 14 avril 1983 la mort subite d'Achille Peretti, le maire de Neuilly, a téléphoné aussitôt à Nicolas Sarkozy puis à Charles Pasqua pour les informer que la place était à prendre. C'est encore lui qui a aidé Sarkozy à doubler Pasqua, hospitalisé pour une hernie, et à se faire élire maire à la tête de Neuilly par le conseil municipal. C'est toujours lui qui a conseillé à son ami de rejoindre le cabinet d'avocats Claude et Associés, qui avait pour client Levallois. Jamais une campagne électorale ne s'est déroulée sans que l'on voie les Balkany dans le sillage de Sarkozy.
Quand Patrick Balkany a été condamné, en 1996, à quinze mois de prison avec sursis et deux ans d'inéligibilité, beaucoup ont cru que le scandale briserait leur amitié. Nicolas Sarkozy a pourtant continué à voir Isabelle et même Patrick, alors en « exil » à Saint-Martin, et installé leur fils, Alexandre, dans un HLM de Neuilly... « Nicolas se moque que l'on vilipende les Balkany, reconnaît l'ami et conseiller du président Pierre Charon. Il est fidèle en amitié et, en ce sens, il ressemble à Mitterrand. »
Parmi toutes les photos qui les montrent avec celui qui est devenu président, on trouve d'ailleurs, dans le bureau de Patrick Balkany, un petit vide-poche carré, en métal argenté, sans valeur aucune. Sauf pour la petite phrase que Nicolas Sarkozy y fit un jour graver et qu'ils connaissent par coeur : « Du maire au maire, du Hongrois au Hongrois, de l'ami à l'ami. »
Raphaëlle Bacqué
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