Par Jean-Marie Pontaut, Eric Pelletier, lexpress.fr, le 24/06/2009
Des militaires pakistanais et un contrat avec la France sont-ils au centre de l'attentat de 2002 ? Une note relance l'enquête, qui recèle bien des zones d'ombre.
Nom de code : "Nautilus". Depuis une semaine, un rapport, censé rester confidentiel, sème l'émoi parmi les familles de victimes de l'attentat de Karachi, au Pakistan. Le 8 mai 2002, un kamikaze jetait sa Toyota contre un bus qui convoyait des salariés de la Direction des constructions navales (DCN) et leurs accompagnateurs. Bilan: 14 morts et 12 blessés.
Jusqu'à aujourd'hui, la piste d'Al-Qaeda semblait la plus crédible, mais une autre hypothèse se dessine. Des militaires pakistanais auraient commandité l'opération pour se venger de l'arrêt du versement de commissions par la France au Pakistan. Le contrat en question, qui portait sur la construction de trois sous-marins de type Agosta, avait été signé en septembre 1994, sous le gouvernement Balladur. Dès son arrivée à l'Elysée, l'année suivante, Jacques Chirac aurait interdit le transfert des fonds vers les intermédiaires, soupçonnant des rétrocommissions en faveur de personnalités politiques françaises.
L'attentat a été salué par le chef d'Al-Qaeda
Une affaire d'Etats ? C'est en tout cas la conviction d'un "privé", Claude Thévenet, recruté par la DCN pour enquêter en marge de la justice. Son rapport de 2002, dont l'existence avait été cachée aux familles de victimes et à leur avocat, Me Olivier Morice, a été saisi dernièrement par des juges, à l'occasion d'une autre affaire. Il reste à évaluer sa crédibilité et celle de son rédacteur.
Claude Thévenet a effectué une partie de sa carrière à la Direction de la surveillance du territoire (DST). Il jouit d'une réputation d'"homme de contacts", selon l'un de ses ex-collègues, mais n'a rien d'un opérationnel. Depuis son départ de la police, il a créé une société de renseignement, TPM International. Ces activités lui ont valu d'être mis en examen à deux reprises. Entendu par le juge antiterroriste Marc Trévidic, il a confirmé être l'auteur de la note, tout en refusant de citer nommément ses sources. Interrogé par le site d'information Mediapart, il a précisé : "J'avais été chargé par les instances dirigeantes de la DCN de recouper un certain nombre d'informations parce que la DCN avait peur que les services officiels, comme la DGSE ou la DST, ne lui livrent des informations inexactes ou tronquées."
Les missions effectuées à Karachi par les spécialistes français de l'antiterrorisme ont toujours mis en avant une piste strictement islamiste. L'enquête pakistanaise présente malgré tout de sérieuses lacunes. Selon les analyses chimiques effectuées par la police française et par le FBI, l'explosif utilisé ne correspond pas à celui évoqué par les policiers locaux. Quant aux coupables, ils n'ont pas été identifiés. Deux suspects, Asif Zaheed et Mohammad Rizwan, présentés comme proches d'un groupe terroriste impliqué au Cachemire indien, ont été jugés devant la haute cour du Sindh. Et relâchés en avril, faute de preuves.
Un spécialiste de l'antiterrorisme interrogé par L'Express se dit "sceptique" quant à la thèse de la manipulation. Il s'étonne notamment que des généraux pakistanais aient attendu la réélection de Chirac, en 2002, pour se venger d'une décision vieille de sept ans. Il fait aussi valoir que l'attentat a été salué par le chef d'Al-Qaeda, Oussama ben Laden. La voix chuintante de l'homme le plus recherché du monde se faisait entendre, le 12 novembre 2002, sur la chaîne Al-Jazira : "Toutes les opérations qui se sont produites contre les Allemands en Tunisie [Djerba], contre les Français à Karachi, contre les Australiens et les Britanniques à Bali [...], tout cela n'est que la riposte de musulmans soucieux de défendre leur religion." Une quasi-signature.
avec Eric de Lavarène, au Pakistan
mercredi 24 juin 2009
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