vendredi 3 juillet 2009

Sur la guerre qui ravage la Corse

Sur la guerre qui ravage la Corse, Le Point, 1 juin 2009

Silence, on tue. C’est la région d’Europe où on assassine le plus. En toute impunité. Récit au coeur du milieu corse.

Jean-Micehl Décugis, Christophe Labbé, Armel Méhani et Olivia Recasens

Dans la nuit glacée, un coup de feu claque. L’homme s’effondre, tué net, sous la lumière crue des lampadaires. Pierre-Marie Santucci, 51 ans, un des piliers de la Brise de mer, vient d’être transpercé par une balle explosive tirée avec un fusil de précision. Posté à plus d’une centaine de mètres dans un terrain vague, le sniper a attendu que sa victime sorte du bar Chez Fanfan, en bordure de la route nationale 193, qui mène vers Bastia.

L’assassinat de Pierre-Marie Santucci en février dernier s’inscrit dans une longue série sanglante qui frappe la Corse. Depuis 2008, 22 caïds, élus et entrepreneurs ont été exécutés sur l’île de Beauté. Ce qui fait de la Corse la région d’Europe où l’on tue le plus. Plus encore qu’en Sicile, si l’on rapporte les meurtres au nombre d’habitants. Dernière affaire en date, le 15 mai : un entrepreneur abattu à bout portant dans un bar du centre de Sartène.

Cette guerre souterraine touche non seulement le milieu, mais aussi le monde politique et économique. A ce jour, aucun de ces assassinats n’a été résolu. Des symptômes meurtriers qui en disent long sur la dérive mafieuse de la Corse et l’impuissance de l’Etat à y faire face. La vendetta a souvent un coup d’avance sur la justice, qui doit, elle, réunir les preuves sur des exécutions toujours minutieusement préparées. Jamais d’ADN ou d’empreinte digitale. Les tueurs, qui opèrent toujours avec des gants et la plupart du temps grimés, utilisent des fusils de chasse pour gros gibier équipés de lunettes de visée. Quant aux véhicules des commandos, ce sont des motos ou des voitures volées, incendiées après usage. Reste les témoins, souvent muets, ou qui se rétractent très vite. « Ici, c’est l’omerta, comme en Sicile », déplore le procureur de la République d’Ajaccio, José Thorel. Un brin désabusé, le magistrat nous reçoit dans ce qui fait ici office de palais de justice : des préfabriqués relégués à la sortie de la ville, coincés entre la rocade et une grande surface. A l’intérieur, les armoires et les dossiers d’instruction portent les traces du dernier mitraillage. « La plupart des meurtres sont commis de jour, en pleine ville, mais personne ne voit jamais rien », précise le magistrat, qui, durant l’entretien, garde les yeux fixés sur une feuille blanche.

Une légende du milieu

Dans l’île, les voyous bénéficient depuis près d’un quart de siècle d’une forme d’impunité. Dans un rapport sur la criminalité organisée en Corse, le procureur Bernard Legras déplorait en 2000 que l’Etat, focalisé sur la lutte antiterroriste, ait « négligé d’autres combats, notamment ceux que l’on aurait dû mener contre le banditisme et certaines dérives financières graves ». Un manque de curiosité pour le milieu qui a culminé après la mort du préfet Erignac quand les services de police ont misé sur les voyous pour obtenir des tuyaux. Une stratégie payante, puisqu’elle a permis l’arrestation d’Yvan Colonna, le meurtrier présumé du préfet, mais avec un effet boomerang !

Si les plastiquages nationalistes ont bien fondu-on en comptait 89 l’an dernier, chiffre le plus bas depuis 1973-, le nombre de règlements de comptes a explosé. Certains terroristes désoeuvrés ont même été débauchés par le milieu. « Le mythe, ce n’est plus la cagoule de l’indépendantiste, mais l’Audi A3 vitres fumées du voyou », glisse un fin connaisseur de l’île. D’après les chiffres de la préfecture d’Ajaccio cités dans l’ouvrage « Les parrains corses » (1), on comptait, en 2000, 74 cartes grises de Ferrari et 700 de Porsche, majoritairement au nom de femmes et de personnes âgées...

Si, aujourd’hui, en Corse, les voyous tombent comme des mouches, c’est parce que les deux clans qui tenaient l’île ont du plomb dans l’aile. Tout comme s’effrite la toute-puissance des parrains jusque dans les prisons, ainsi que tente de le montrer le film de Jacques Audiard, « Un prophète », primé à Cannes. « C’est la fin d’un cycle qui a duré près de trente ans. Aujourd’hui, le milieu représente le premier pouvoir insulaire, et on s’entre-tue entre clans pour récupérer le sceptre », résume un grand flic. C’est la mort de Robert Feliciaggi qui a mis le feu aux poudres. Amateur de gros cigares et de grosses voitures, cet homme d’affaires, président du groupe divers droite à l’Assemblée de Corse, était en quelque sorte l’ambassadeur de celui que tous les rapports de police désignaient comme le parrain : Jean-Jé, une légende du milieu, qui, dans la seule interview qu’il ait donnée (2), reconnaissait avoir tué un à un les assassins de son père liquidé sous ses yeux alors qu’il avait 16 ans. Une quinzaine, selon la rumeur.

Il est minuit, ce vendredi 10 mars 2006. Le dernier vol pour Ajaccio vient de se poser sur la piste de Campo dell’Oro. « Robert », comme tout le monde l’appelle ici, traverse le hall de l’aéroport plein à craquer, salue quelques amis avant de se diriger vers sa BMW noire. Lorsqu’il ouvre le coffre pour y déposer son bagage à main, un tueur avec capuche lui tire à bout portant deux balles de 38 spécial dans la nuque et la tempe.

Gâchette facile

En Corse, c’est le choc. On vient de défier ouvertement Jean-Jé, le parrain. Trois jours plus tard, sous l’oeil attentif des RG, 2 000 personnes assistent à l’enterrement de Robert dans le petit village de Pila-Canale. Jean-Jé, lunettes noires et col roulé, se fait discret. Cet ancien de la French Connection a prudemment laissé son lieutenant Ange-Marie Michelosi porter le cercueil. A 67 ans, le parrain est en fin de carrière, il sait que ses propres lieutenants pensent à la succession. Ange-Marie Michelosi, 52 ans, à la tête de la redoutable bande du Petit Bar , du nom du café qu’il possède sur le cours Napoléon à Ajaccio, est un dur à cuire à la gâchette facile, qui a la passion des champs de courses et surtout des chevaux qu’il élève. La dizaine de jeunes voyous dont il est devenu le mentor fait dans le trafic de drogue. Le milieu corse se divise en deux : ceux qui font dans la drogue et les autres. Le trafic de stups est un moyen rapide d’enrichissement pour de nouvelles bandes. En juin 2008, deux membres du Petit Bar ont été interpellés dans l’Hérault aux côtés de Gilbert Casanova, l’ancien président de la chambre de commerce et d’industrie, alors qu’ils s’apprêtaient à convoyer plusieurs centaines de kilos de cannabis dans un hélicoptère. Cette bande, que l’on soupçonne de tuer à tout-va, n’hésite pas non plus à racketter des proches de Jean-Jé.

L’autre protégé du parrain est carrément passé à l’ennemi. Jean-Luc Codaccioni, un gros calibre originaire d’un village de la côte sud, a fait allégeance à Richard Casanova, l’électron libre de la Brise de mer. Hasard, sans doute, un motard lui a tiré dessus à l’été 2005 mais le pistolet s’est enrayé. Du côté du Petit Bar, on soupçonne Jean-Luc Codaccioni d’avoir liquidé Robert. Au point que, durant l’enterrement de ce dernier, il est pris à partie par son rival Ange-Marie Michelosi. L’engrenage infernal des règlements de comptes est déjà enclenché quand se produit l’impensable : le parrain meurt dans un accident de voiture. Le 1er novembre 2006, jour de la Toussaint, Jean-Jé roule dans une voiture prêtée par un ami quand son véhicule percute un parapet et s’enflamme. Personne en Corse ne veut croire à l’accident, la police va jusqu’à rapatrier la voiture sur le continent pour la faire expertiser. L’enquête conclut finalement à un banal accident provoqué par un malaise cardiaque. Prudent comme un Sioux, Jean-Jé se déplaçait souvent grimé et jamais seul. Ce jour-là, sa voiture était suivie par une escorte dont les membres se sont confiés aux policiers corses. Le parrain, qui pouvait se targuer d’un casier judiciaire vierge, logeait à Olmeto dans un modeste appartement au-dessus de la supérette d’Arlette, sa femme, dont il avait été un temps le salarié. Elle l’avait également embauché comme agent d’entretien au Miramar, l’hôtel quatre étoiles qu’elle possédait à Propriano avant de le revendre à Feliciaggi. Dix ans de cavale au Brésil avaient appris au parrain la discrétion. Coffré par la police en 1975 après s’être fait balancer dans une affaire de stups, Jean-Jé s’était fait la belle pour ne réapparaître qu’en 1985, une fois les faits prescrits grâce à une faute de procédure. Jamais plus la police ne le reprendra dans ses filets, hormis sur la fin, pour des abus de biens sociaux. Une affaire qui n’était pas encore définitivement jugée quand Jean-Jé a passé l’arme à gauche. Même s’il fuyait les feux de la rampe, Jean-Jé cultivait des relations avec des personnalités en vue, comme le prouve cette photo retrouvée par les policiers lors d’une perquisition chez son ami Feliciaggi. On y voit, trinquant avec Jean-Jé, José Rossi, alors président de l’Assemblée territoriale de Corse, Marc Marcangeli, ancien maire d’Ajaccio, et Emile Mocchi, ancien maire de Propriano. Egalement présent, Edouard Cuttoli, directeur du casino d’Ajaccio, un établissement que la police soupçonnait de reverser la moitié des gains à Jean-Jé Colonna. Une preuve de collusion entre voyous, élus et hommes d’affaires ? Comme l’observait dans son rapport Bernard Legras, « on sait que des hommes politiques de haut niveau ont eu ou ont dans leurs mains les meilleurs appuis du banditisme local et les ont parfois défendus ouvertement ».

Côté coeur, le parrain aurait entretenu une idylle avec une célèbre présentatrice météo qui, de temps en temps, pour lui faire plaisir, donnait les températures à Pila-Canale, le village dont il était originaire. Quelques jours avant sa mort accidentelle, Jean-Jé avait réuni les siens pour évoquer l’appétit grandissant de Richard Casanova dans le sud de la Corse. Une réunion très sécurisée, puisque les participants avaient été invités à retirer la batterie de leurs téléphones portables et à déposer le tout dans un autocuiseur dont le couvercle avait été soigneusement refermé. Jean-Jé, qui se plaisait à dire que « le plus dangereux pour un voyou, ce n’est pas le policier mais le voyou lui-même », s’est toujours méfié de la Brise.

23 avril 2008, Porto-Vecchio. Richard Casanova est fauché par une rafale d’arme automatique devant le garage Audi. A 49 ans, « Richard le Menteur »-son surnom dans le milieu-n’aura pas eu le temps de rafler la mise. Après trente ans d’efforts, l’électron libre de la Brise de mer, celui que l’on disait capable de demander amicalement des nouvelles d’un concurrent pour obtenir son adresse et le faire tuer, était en passe de devenir le boss.

Au début des années 80, une petite dizaine de voyous fréquentent le bar de la Brise de mer, quai de la Marine, à Bastia. La plupart sont des fils de bonne famille aux pères avocats, médecins, enseignants, militaires. Ils vont très vite former la bande la plus redoutée de Corse. Une structure collégiale où chaque membre se doit fidélité et solidarité. Plusieurs habitent le même village de La Porta, où l’un d’eux dispose d’un héliport, le pilote attitré étant aujourd’hui un ancien cadre d’Air France, maire d’un petit village. « Peut-être parce que la société corse s’est bloquée, parce que des espaces jusqu’alors disponibles se sont fermés, certains ont choisi une autre manière de s’exprimer, de faire fortune », écrivait le magistrat Bernard Legras dans son rapport, le dernier réalisé sur la criminalité organisée en Corse.

Le casse du siècle

Avant la Brise, les voyous de l’île s’expatriaient pour « travailler », la Corse était un sanctuaire. La Brise, elle, s’est affranchie des règles en perpétuant sur l’île des braquages et des assassinats. Pour une de leurs premières attaques de banque, les malfaiteurs décident d’agir le lundi de Pâques. Un pied de nez aux traditions religieuses en Corse. Entre 1984 et 1988, la police impute à la Brise pas moins de 36 attaques de fourgon blindé dans toute la France (3). Une ascension bâtie sur la peur, comme l’explique le fameux rapport Legras : « Le plus souvent remis en liberté faute de preuves et de témoignages, ils se sentent invulnérables et font, pour certains, régner la terreur dans toute la Haute-Corse, où ils volent, pillent, menacent, rackettent, sans que jamais une plainte soit déposée. »

« On a pris un peu d’argent à l’Etat, il nous en prend tellement », expliquait Francis Mariani, un des historiques de la Brise, jugé en 2008 pour l’assassinat d’un nationaliste. « On voulait un peu d’action, on était jeunes et on s’ennuyait, mais on n’a jamais fait dans le trafic de drogue », ajoutait ce passionné de rallye automobile avant de conclure : « La Brise n’a jamais existé, c’est de la pipette, un mythe. »

Un mythe pourtant bien réel, auquel on attribue les coups les plus audacieux. Comme ce hold-up en plein vol. En juillet 1991, la Banque de France se fait subtiliser 5,7 millions de francs sur un vol Air France Bastia-Paris. Caché dans la soute, un voyou remplace l’argent par de vieux journaux. A Orly, le butin, qui a été transféré dans des bagages à main, est récupéré par les complices en même temps que le voleur, caché dans une malle. Et puis il y a le casse du siècle à Genève. Le 25 mars 1990, quatre hommes soulagent le siège de l’Union de banques suisses (UBS) de 220 kilos de billets. Soit 31 millions de francs suisses (20 millions d’euros). Comme toujours avec la Brise de mer, le coup a été minutieusement préparé grâce à une complicité interne. Soupçonné d’être le cerveau du casse, Richard Casanova, qui a fait ses armes dans les commandos du FLNC, entame une cavale longue de seize ans. Une cavale dorée durant laquelle il voyage en Amérique du Sud ou en Afrique avec un passeport au nom de Rossi et fréquente le Tout-Paris, où il a investi dans les cercles de jeu. On le voit aussi beaucoup en Corse, notamment à Porto-Vecchio et Propriano, où il a blanchi son argent dans les discothèques, l’immobilier et le secteur du tourisme. Chaque fois que les policiers retrouvent sa trace, Richard, comme doté d’un cinquième sens, s’évapore mystérieusement. On le dit dans les petits papiers d’un grand flic et de certains élus UMP. En 2001, son nom sera retiré du fichier des personnes recherchées, comme celui de 17 autres voyous du fichier du grand banditisme.

Le 3 mars 2006, « le Menteur » est toutefois interpellé comme un petit voyou de cité par la brigade anti-criminalité. Une arrestation qui fait jaser, car elle précède de sept jours l’assassinat de Robert Feliciaggi. Pour le clan de Jean-Jé, convaincu que Casanova est derrière cette exécution, sa mise à l’ombre a été cousue main pour le disculper. Une piste explorée par la PJ, pour qui Robert Feliciaggi, l’argentier supposé de Jean-Jé Colonna, aurait été éliminé par Casanova, allié à l’homme d’affaires Michel Tomi. Cet ami de Charles Pasqua, mis en examen aux côtés de l’élu dans l’affaire du casino d’Annemasse, s’était associé en 1986 avec Robert Feliciaggi pour créer un empire des jeux en Afrique. Ces derniers temps, leurs relations avaient pris, disait-on, un coup de froid. La cause : le rapprochement entre Casanova et Tomi dans des affaires au Maroc et au Gabon. Un lien qui ressort dans des écoutes téléphoniques où Casanova appelle son nouvel ami « Tonton », tandis que ce dernier le présente comme son neveu. Rien, en tout cas, sur le meurtre de Robert durant ces dix mois de « zonzon » (écoutes).

Quelque temps après son incarcération, Richard Casanova retrouvait la liberté grâce au versement d’une caution de 150 000 euros. Un an et demi avant son exécution. La disparition du « Menteur », qui a été une surprise pour beaucoup, angoisse certains poids lourds de la politique et des affaires sur l’île. N’a-t-on pas retrouvé dans la voiture de Casanova des documents administratifs sur des projets immobiliers dans le sud de la Corse, ainsi que le plan du futur port de Porto-Vecchio ? L’embarras semble aussi palpable dans les hautes sphères de l’Etat, où l’on misait sur l’émergence d’un nouveau parrain capable de siffler la fin des règlements de comptes qui font tache dans le paysage.

Chien enragé

Beaucoup dans les services de police sont convaincus que la rafale qui a fauché Casanova a été tirée par son propre camp. Au premier rang des suspects, Francis Mariani. Cet historique de la Brise de mer au caractère sanguin était connu pour se déplacer toujours « enfouraillé ». Pour justifier la présence d’un pistolet dans son coffre de voiture, il avait répondu au juge : « Je le promène. » Il y a quelques années, pour sortir de prison, il avait fourni une promesse d’embauche comme grutier que lui avait faite un poids lourd de la politique locale, par ailleurs dans le BTP...

Fils d’agriculteur, Mariani n’a jamais pu vraiment sentir Richard Casanova, ce fils de bonne famille, charismatique et mondain, que l’on disait proche de certains flics. Chacun voulant mettre la main sur la Corse-du-Sud, ils ont rompu le pacte tacite de la Brise de mer qui imposait aux siens une solidarité quasi familiale et avait fait la force du gang. La rupture est consommée lorsque Mariani s’affiche aux obsèques de Jean-Jé Colonna avec la bande du Petit Bar, dont un membre est aujourd’hui aussi soupçonné d’avoir trempé dans l’assassinat de Casanova.

La série noire continue pour la Brise de mer. Deux mois après la mort de Richard le Menteur, c’est au tour de Daniel Vittini d’être liquidé. L’ancien compagnon de route de Mariani est abattu de deux balles dans le dos alors qu’il est à genoux, vêtu d’un short, avec des tongs aux pieds. Une fois encore, les regards se tournent vers Mariani. Celui que son propre camp qualifie désormais de chien enragé aurait soldé un contentieux avec son ami de trente ans. Mariani n’aurait pas digéré le verdict de la cour d’assises des Bouches-du-Rhône qui les avait condamnés, son fils et lui, respectivement à 15 et 7 ans de prison pour leur implication dans le meurtre d’un jeune nationaliste, alors que tous les autres, dont le fils Vittini, avaient été acquittés. Mariani soupçonne ce dernier d’avoir donné en contrepartie les participants d’un casse de fourgon à Valence.

« Grande lessiveuse. »

Ce 12 janvier 2009, lorsque les pompiers pénètrent dans un hangar près d’Aléria, ils découvrent deux cadavres calcinés. L’un très abîmé, l’autre entièrement déchiqueté. Seul un examen génétique permettra d’identifier Francis Mariani, 60 ans, qui était en cavale depuis son procès et avait déjà échappé à trois tentatives d’assassinat. Les enquêteurs, qui s’appuient sur une série d’écoutes téléphoniques et de surveillances, sont convaincus que ce pilier de la Brise de mer a été attiré dans un guet-apens.

En un an, quatre membres historiques de la Brise ont donc été exécutés. Quasi la moitié du gang. Fin avril, c’est Maurice Costa, un autre baron de la bande, qui aurait échappé par miracle aux tueurs. Comme dans « Les sept boules de cristal », l’album d’Hergé, les survivants se terrent en attendant la fin de la malédiction. Une malédiction qui frappe désormais tous les voyous corses. Qui récupérera la mise dans cette loterie infernale ? « Sur l’île, les projets immobiliers se multiplient et tous les voyous veulent leur part de gâteau , constate, amer, un élu nationaliste. La Corse est devenue une grande lessiveuse. » Ces règlements de comptes sanglants changent-ils la donne pour autant ? Pour certains observateurs, l’île reste aux mains des héritiers des différents clans du Nord et du Sud, qui finiront par trouver une entente d’intérêts.

D’autres, au contraire, prédisent un deuxième été meurtrier. Un grand nettoyage dont les bénéficiaires seraient les « bergers braqueurs » de Venzolasca, un village de Haute-Corse. Un clan redouté qui, comme l’indiquent des écoutes, récupère les clés de tous les établissements tenus par Francis Mariani et Richard Casanova dans le nord de la Corse. Leur chef, Ange-Toussaint Federicci, 42 ans, est aujourd’hui écroué pour assassinat dans la tuerie du bar des Marronniers, à Marseille. C’est là qu’avait été exécuté en avril 2006, avec deux de ses lieutenants, Farid Berrhama, dit « le Rôtisseur ». En déroulant la pelote, les magistrats marseillais sont remontés sur des affaires de blanchiment jusqu’au cercle Concorde à Paris, une salle de jeux inaugurée en 2006 par tout le gratin de la capitale et aujourd’hui fermée, mais plus pour longtemps.

Demeure l’inconnue Alain Orsoni, l’homme de toutes les rumeurs. Belle gueule et verbe haut, l’ancien leader nationaliste du Mouvement pour l’autodétermination (MPA) est de retour. Il avait quitté la Corse en pleine guerre sanglante entre nationalistes. Certains de ses amis avaient trouvé la mort, lui craignait les coups de ses frères ennemis du Canal historique. Orsoni redoutait plus encore les foudres de Jean-Jé, le parrain qu’il avait défié à plusieurs reprises sur ses terres.

Voiture blindée

Aujourd’hui, l’ancien leader du MPA, rebaptisé par ses détracteurs Mouvement pour les affaires, le jure : il est revenu pour s’occuper du club de football local, l’Athlétic Club ajaccien (Aca), Et quand certains lui prêtent des ambitions moins avouables, comme celle de devenir le nouveau parrain de la Corse-du-Sud, il s’emporte « C’est du pur fantasme ! Ce à quoi j’aspire, c’est vivre tranquillement avec ma famille, ma petite-fille de 6 ans et mes deux enfants de 20 et 24 ans », déclarait-il au Point cet automne. Ce jour-là, c’est un jeune élu nationaliste qui avait joué les go-between pour nous guider jusqu’au bureau du président de l’Aca sur les hauteurs d’Ajaccio. Comme dans la bande dessinée de Pétillon, la voiture des journalistes suivait celle du nationaliste, qui était elle-même prise en chasse par un véhicule de police banalisé.

C’est dans ce climat très tendu que débarque Alain Orsoni. Plusieurs anciens militants du MPA ou liés au mouvement viennent d’être exécutés. Et certains de ses proches, comme Antoine Nivaggioni, le sulfureux patron de la Société méditerranéenne de sécurité (SMS), sont derrière les barreaux pour des affaires d’abus de biens sociaux et de marchés publics truqués. Ce qui n’a pas empêché la société de ce dernier, reprise par son fils, de voir son contrat renouvelé par l’aéroport d’Ajaccio... Orsoni lui-même a fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Un dossier judiciaire qui, une fois n’est pas coutume, est sur le point d’être résolu. Plusieurs membres du Petit Bar ont été interpellés et ont avoué leur participation.

Certains expliquent avoir voulu tuer Alain Orsoni-qui roule désormais en voiture blindée-pour venger leur chef, Ange-Marie Michelosi. Ils reprochent au président du club ajaccien d’avoir « couvert » le meurtre. Ils ont surtout livré les noms des tueurs présumés qui seraient venus du nord et de l’extrême sud. De quoi donner enfin du grain à moudre aux enquêteurs, même si certains de ces auteurs présumés ont déjà été assassinés...

1. Jacques Follorou et Vincent Nouzille (Fayard).

2. Corsica, interview réalisée en août 2002 par Gabriel-Xavier Culioli.

3. « Les parrains corses », nouvelle édition augmentée (Fayard).

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Annexes

Le clan Colonna

Les proches

Jean-Jé Colonna,69 ans. Meurt le 1er novembre 2006 dans un accident de voiture en Corse-du-Sud.

Jean-Claude Colonna,47 ans, son cousin. Tué le 17 juin 2008 de trois tirs à la chevrotine à Pietrosella.

Robert Feliciaggi,64 ans, homme d'affaires et élu. Abattu le 10 mars 2006 à l'aéroport d'Ajaccio.

La bande du Petit Bar

Francis Castola, 60 ans. Exécuté de cinq balles sur le parking de son domicile à Ajaccio.

Ange-Marie Michelosi,son lieutenant,54 ans. Tué dans sa voiture le 9 juillet 2008 à Grossetto-Prugna.

Thierry Castola, 36 ans.Abattu le 4 janvier 2009 à la sortie d'un bar de Bastelicaccia, près d'Ajaccio.

Les affidés à la bande du Petit Bar

Sabri Brahimi, 30 ans. Fauché le 29 janvier 2009 sur son scooter d'une quinzaine de balles de gros calibre.

Nicolas Salini, 25 ans, et Jean-Noël Dettori,25 ans.Les deux hommes sont abattus le 12 avril 2009 à Baleone, près d'Ajaccio, à bord de leur voiture, par quatre hommes cagoulés munis de plusieurs armes de guerre.

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La brise de mer, une petite entreprise qui rapporte gros

400 comptes bancaires, dont des comptes épargne concentrés sur la Caisse régionale du Crédit agricole dirigée par des proches de la Brise.

124 acquisitions immobilières, dont 78 depuis 1990.

60 sociétés, dont une dizaine de sociétés civiles immobilières.

100 taxes professionnelles : bars, restaurants discothèques, entreprises de BTP, concessions automobiles, grande distribution de café, d'huile... grandes surfaces, casses automobiles, magasins de prêt-à-porter, location de bateaux, société de sécurité, centre de remise en forme...

Revenus déclarés au fisc par chacun des membres : environ 450 euros par mois.

Source : enquête effectuée en 1998 sur 16 membres de la Brise par la Brigade nationale des enquêtes économiques et financières et la PJ de Bastia.

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Le clan de la brise de mer

Clan Mariani

Francis Mariani 60 ans. Mort le 12 janvier 2009 dans l'explosion d'un hangar près d'Aléria alors qu'il était en cavale.

Daniel Vittini, 56 ans. Exécuté à genoux, le 3 juillet 2008, dans une clairière, de plusieurs balles dans le dos.

Pierre-Marie Santucci, 51 ans. Tué d'une balle explosive le 10 février 2009 sur un parking près de Bastia.

Charles Fraticelli,51 ans. Mort le 12 janvier 2009 aux côtés de Mariani, son ami d'enfance, près d'Aléria.

Clan Casanova

Richard Casanova, dit « Richard le Menteur », 49 ans. Tué le 23 avril 2008 à l'arme de guerre à Porto-Vecchio.

Jean-Luc Codaccioni, ex-lieutenant de Jean-Jé. Victime en 2005 d'une tentative d'assassinat. L'arme s'enraye.

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Les électrons libres

Roger Polverelli, 61 ans. Abattu le 25 août 2004 de trois balles dans le magasin de sa fille à Ajaccio.

Jacques de la Foata, 49 ans. Tué par un sniper le 8 août 2006 devant son magasin de motos à Ajaccio.

Paul Corticchiato, 49 ans. Assassiné le 19 mai 2006, au volant de sa voiture, près d'Ajaccio.

Paul Giacomoni,44 ans. Abattu par un sniper le 13 septembre 2006, sur un stand de ball-trap, à Ajaccio.

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« La guerre n'est pas terminée »

Le Point : Comment expliquez-vous cette vague d'assassinats ?

Christian Lothion : En Corse, malheureusement, on apprécie les armes. C'est à celui qui tirera le premier, c'est oeil pour oeil, dent pour dent. Plutôt que de négocier, on préfère éliminer physiquement son adversaire ou son ennemi.

Comment se fait-il qu'à ce jour aucun assassinat ne soit résolu ?

Les tueurs laissent très peu d'indices sur les lieux du crime. A mon arrivée, j'ai beaucoup insisté pour que les services centraux de la DGPJ travaillent en synergie avec la PJ en Corse et la PJ marseillaise. Il ne faut pas oublier que la capitale phocéenne est la première destination des voyous corses.

Récemment, trois membres ont été mis en examen et écroués pour « association de malfaiteurs en vue de commettre un assassinat en bande organisée » contre Alain Orsoni. Ces interpellations sont peut-être le début d'un apaisement sur l'île. Nous attendons dans les mois qui viennent des résultats.

Des rivalités en interne font partie des pistes que nous étudions. Dans le passé, certains avaient des intérêts en commun, ils se sont séparés pour se retrouver en compétition et font désormais parler les armes. Il y a eu des rivalités de territoire. La guerre n'est pas terminée.

Ces rivalités sont-elles liées au juteux marché immobilier dans le sud de l'île ?

Des plans et des projets immobiliers ont été retrouvés lors de perquisitions. L'immobilier est une façon de blanchir l'argent et d'en apporter plus.

Certains parlent d'une nouvelle équipe montante. Y croyez-vous ?

C'est trop tôt pour le dire. Mais la nature déteste le vide. Les histoires de voyous sont toujours les mêmes, seuls les noms changent.

Propos recueillis par Armel Méhani

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17 voyous corses exfiltrés des fichiers de police en 2001

En contrepartie de ce coup d'éponge, la police espérait obtenir des tuyaux pour retrouver Yvan Colonna, le tueur présumé du préfet Erignac.

Clan Jean-Jé Colonna : Ange-Marie Michelosi, condamné pour braquage, assassiné en 2008 ; Jean-Toussaint Michelosi ; Antoine Bozzi, connu pour des affaires de machines à sous, actuellement écroué pour détention d'arme ; Jean-Jé Colonna, le parrain présumé de Corse-du-Sud, mort dans un accident de voiture en 2006 ; Ange-Marie Orsoni.

Clan de la Brise de mer : Antoine Castelli, ancien propriétaire du bar La Brise de mer, à Bastia ; Joël Patacchini ; Jean-Louis Patacchini ; Jacques-François Pattachini ; François-Antoine Guazzelli ; Paul-Louis Guazzelli ; Jean-Angelo Guazzelli.

Electrons libres : Joseph Filippi ; Georges Mancini, dit « Nanni », condamné pour « association de malfaiteurs » ; Jules-René Orsoni ; Jean-Donat Sabiani ; Roger Polverelli, assassiné en 2004.

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