mercredi 21 avril 2010

Affaire Pasqua : les menaces du «petit monsieur»

Le Figaro, 21 avril 2010

La cour de justice de la République examine le rôle de proches du ministre dans les pots de vin versés en marge du déménagement du siège de GEC-Alsthom en 1994. L'ancien PDG de l'entreprise estime «possible» une escroquerie à l'insu de Charles Pasqua.

Avant de siéger à la cour de justice de la République, le député des Ardennes Jean-Luc Warsmann n'avait vraisemblablement jamais eu dans sa carrière l'occasion d'entendre l'ancien PDG d'une multinationale admettre l'efficacité avérée de pots-de-vin versés en France. La surprise du parlementaire, vêtu depuis trois jours de sa robe de magistrat, se joue donc ce mercredi sur le ton de l'indignation face à l'ancien PDG de GEC-Althsom, Pierre Bilger. Le député voit «une insulte terrible pour notre pays, une insulte terrible pour tous les fonctionnaires de notre pays» le fait qu'Alsthom aît engagé 5 millions de francs en mai 94 dans le but d'accélérer le traitement de son dossier de déménagement par la Datar, la délégation de l'aménagement du territoire.

Le versement de cette commission à un proche de l'ancien ministre de l'Intérieur, via une série de comptes du Panama et de la Suisse vaut à Charles Pasqua des poursuites pour complicité d'abus de biens sociaux. Le dossier met en scène Alsthom - mais surtout une série de personnages qui pour une grande partie ont déjà été condamnés par des juridictions de droit commun pour ce même dossier. La justice a définitivement retenu contre eux des accusations d'abus de bien social.

Pierre Bilger, qui était «chief executive officier» de Gec Alsthom est ceux-là. À la barre de la cour de justice, l'ancien PDG parle d'une voix calme et se lance dans l'exposé clair d'une affaire qui ne l'est vraiment. En 1994, raconte-t-il, des responsables de la division transport d'Alsthom font remonter à leur direction de soudaines difficultés dans le traitement du dossier avec l'administration de l'aménagement du territoire. Le déménagement deviendrait impossible. L'unique solution pour débloquer le verrou serait Étienne Léandri, considéré comme un proche du locataire de la place Beauvau. «Il se faisait fort d'obtenir l'agrément en échange de 10 millions de francs», rappelle Pierre Bilger qui après avoir un temps résisté, se résoud à ordonner à ses hommes le déblocage de la somme. «C'était avant la loi de 95 sur le financement politique. Cette idée ne suscitait pas le même réflexe ethique qu'aujourd'hui», tempère l'ancien grand patron qui, devant le juge Courroye, désignera ce versement comme «un racket». À l'audience, il livre malgré tout ce diagnostic brutal: «Cela nous a permis de gagner du temps et de l'efficacité» mais la colère du député Warsmann l'amène à nuancer: «Nous n'avions pas le sentiment de corrompre un fonctionnaire mais d'apporter un financement politique. C'était une pensée naïve».

Étienne Léandri, le «collaborateur avéré»

Dans les coulisses du versement de ce pot de vin finalement fixé à 5,2 millions de francs, se trouvent plusieurs personnages complexes et encore torturés par l'affaire parmi lesquels le professeur émerite de la Sorbonne Michel Carmona, familier de l'aménagement du territoire et des pressions qui accompagnent les grands contrats. C'est lui qui avait dénoncé l'affaire à la justice initialement. Lui encore qui en dénonce les principaux protagonistes, notamment Étienne Léandri qu'il décrit comme «un parrain», «un collaborateur avéré», qui «avait une compagne à Marbella» et une autre, «chanteuse» à Paris. Étienne Léandri est décrit dans le dossier comme «le petit monsieur» non en raison de son mètre 83 mais en référence aux basses œuvres financières qu'on lui attribue. Son influence supposée auprès de Charles Pasqua aurait forcé les cadres de GEC-Alsthom à payer. Les 5 millions de francs versés depuis le Panama auraient terminé leur course sur des comptes irlandais du «petit monsieur» et 700.000 dollars auraient atteint un compte suisse aux mains de Pierre-Philippe Pasqua, fils de l'ancien minsitre.

Lors des procès menés au tribunal correctionnel puis à la cour d'appel, le lien Léandri-Pasqua n'avait pas fait l'ombre d'un doute pour expliquer les raisons du versement de ce pot-de-vin. Mais aujourd'hui, à la cour de justice de la République, la surprise vient de plusieurs acteurs du dossier, décidés à balayer cette thèse: Étienne Léandri aurait-il abusé de sa réputation pour escroquer Alsthom ? «Un escroquerie de Léandri sans qu'il ait une référence réelle auprès du ministre de l'Intérieur me parait avoir une crédibilité», avance aujourd'hui Pierre Bilger. «Mon sentiment est que des gens de l'entourage de Charles Pasqua se sont arrangés pour nous faire suffisament peur pour nous faire payer», renchérit Bernard Lebrun, ancien cadre d'Alsthom.

Même si ces déclarations proviennent de témoins qui ont été eux-mêmes condamnés dans cette affaire, ces affirmations sont un coup dur pour l'accusation. Charles Pasqua ne s'y trompe pas: «Si des gens proches de moi se réclamaient de moi pour avoir de l'argent, je les aurais remis entre les mains de la police», lance-t-il. Dans son plaidoyer, Charles Pasqua trouve lui aussi des accents de colère vis-à-vis de Pierre Bilger: «Je regrette que vous ayez pensé que pour obtenir une décision, il fallait payer! Comment un haut-fonctionnaire a-t-il pu penser cela ? Ca me renverse!».

Le «petit monsieur», lui, n'est plus là pour livrer sa version. Il est décédé en 1998.

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