mercredi 28 avril 2010

Etienne Leandri: Un riche fantôme hante le procès de Pasqua

Libération, 27 avril 2010 Par KARL LASKE

Etienne Leandri, intermédiaire décédé en 1995, a versé des fonds au fils de l’ex-ministre.

Au procès de Charles Pasqua, il y a un homme clé. Et malheureusement pour les juges de la Cour de justice de la République, il est mort en 1995. Les témoins ne parlent que de lui, mais les juges peinent à cerner le personnage. Etienne Leandri, c’est son nom, a laissé peu de choses derrière lui. Le souvenir d’un homme qui circulait en Bentley, vivait à Marbella (Espagne), et disposait d’un petit bureau rue du faubourg Saint-Honoré.

«Etienne Leandri ne peut que peser sur cette salle et sur ce procès», a expliqué le marchand d’armes Pierre Falcone. Mais ce qu’il a laissé pourrait faire condamner Pasqua : deux paiements au bénéfice de Pierre-Philippe Pasqua, le fils de l’ancien ministre, et pas des moindres, 4 et 9,8 millions de francs, sur des affaires découlant d’autorisations du ministère de l’Intérieur.

Dès lors, la Cour s’interroge. Pasqua était-il au courant ? Fréquentait-il l’homme d’affaires ? Pasqua s’est souvenu de l’avoir rencontré dans les années 1970, introduit par Patrick Devedjian. Sans plus. «Charles Pasqua et Etienne Leandri se connaissaient, admet Bernard Guillet, l’ancien conseiller diplomatique du ministre de l’Intérieur. Ils se sont vus régulièrement. Etienne Leandri me disait "Comment va le grand ?" Il l’appelait comme ça. Il était attentionné. Il voulait aider Charles Pasqua. Il a toujours eu de l’affection pour Charles Pasqua. Il n’était pas le seul.»

L’ancien diplomate, lui-même financé par Leandri, se souvient d’un dîner à trois, au Pré Catelan. «Dans les dîners, c’était presque un cérémonial, on ne parlait jamais d’affaires. Mais de la politique et des amis.» Pasqua et Leandri n’avaient évoqué que «leurs amitiés», «leurs familles», la Corse. Mais aucun «pacte de corruption» n’avait été scellé. Guillet va plus loin : «Je crois que Charles Pasqua est innocent.»

Guillet prétend qu’il a été interrogé «sous la menace» lors de l’instruction. Comme une autre membre du cabinet, Sabine de La Laurencie. «Tout ce que j’ai dit, je l’ai dit sous la menace, assure-t-elle. Je n’ai pas eu mon mot à dire.» Le président Henri-Claude Le Gall rappelle ses déclarations. L’une d’elles concerne l’ex-amie de Leandri, qui cherchait de l’aide après son décès. «Charles Pasqua aurait dit à Bernard Guillet : "C’est une mauvaise nouvelle si elle parle celle-là, vous vous souvenez ?"» questionne le président. «Je n’ai jamais rien dit de ce genre», répond Sabine de La Laurencie. Le président poursuit sa lecture : «Il y aurait un moyen plus radical d’arrêter les choses. Bernard Guillet avait compris qu’il s’agissait de l’éliminer.» Un roman des enquêteurs.

Un autre hiérarque des Hauts-de-Seine, le député Jean-Jacques Guillet - simple homonyme du précédent - a lui aussi bénéficié du «soutien» de Leandri, qui avait renfloué le Quotidien du maire qu’il dirigeait. «Il s’était proposé de nous aider», explique-t-il. Et 19 millions de francs lui parviennent. «Mais je n’ai jamais été témoin d’une quelconque relation de monsieur Pasqua avec lui», assure-t-il. Pasqua fils est entendu aujourd’hui.

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