mardi 27 avril 2010

Pasqua : les écrits accusent, les paroles dédouanent

Le Figaro, 26 avril 2010

Face aux témoins du jour, notamment Pierre Falcone, l'avocat général part en guerre contre les revirements de déposition.

«La plume est serve mais la parole est libre» : cette maxime judiciaire s'applique habituellement aux procureurs qui peuvent s'exprimer à l'audience selon leurs consciences mais qui, à l'écrit, ont l'obligation de suivre les instructions de leur hiérarchie. Au procès Pasqua, cette maxime judiciaire est victime d'un curieux renversement et elle s'applique cette fois aux seuls témoins : à la barre de la cour de justice de la République, depuis la semaine dernière, bien d'entre eux viennent conscienceusement démolir à l'oral les accusations que les procédures judiciaires écrites avaient consigné. Tous mettent en cause les méthodes d'interrogatoires de la brigade financière et surtout du magistrat Philippe Courroye qui, comme juge financier, a instruit les trois affaires reprochées aujourd'hui à Charles Pasqua. Les uns après les autres, tous finissent donc par brosser l'impression générale d'un procès favorable à l'ancien ministre de l'Intérieur.

Ce lundi, à cinq jours du verdict, voilà Pierre Falcone, condamné à six ans de prison dans l'affaire de l'Angolagate et prévenu dans l'affaire de la Sofremi que la cour de justice continue à examiner. L'homme d'affaires, costume noir et chemise blanche, a été extrait pour l'occasion de sa cellule de Fleury-Mérogis. Il joue sa déposition avec une surabondance d'énumération. «Je n'ai pas eu d'intimité secrète avec Charles Pasqua ni en terme d'entente illicte, de commerce caché ou quoi que ce soit. Je n'ai jamais voté Charles Pasqua. Il n'est jamais venu aux bureaux de Brenco France... «Même distance avec Etienne Léandri, homme clé du dossier de la Sofremi avec lequel Charles Pasqua nie toute proximité. «Etienne Léandri m'a menti. Seul ou accompagné, je ne sais pas. Ce sera à vous de le dire. (...) Mais il m'a eu. Je n'ai rien gardé», assure Pierre Falcone qui énumère encore : «Rien gardé : pas un franc, pas un pesos, pas un dollar...»

L'homme d'affaires aujourd'hui emprisonné n'a que mépris pour la thèse retenue pour l'accusation : «Quand on négocie sur la cordillière des Andes, à Caracas ou en plein centre de l'Afrique, on a bien d'autres choses à penser que le financement d'un journal - le Quotidien du maire - dont j'ignorais même l'existence.» Cette nouvelle énumération est à peine terminée que l'avocat général Yves Charpenel raille la version du témoin du jour d'un ton courtois : «De là, à vous présenter comme un héros de la République française, il y a une marge... (...) La cour d'appel, dans le dossier de la Sofremi, vous reproche d'avoir été le taxi de monsieur Léandri, en offrant vos sociétés comme des coquilles pour les transferts de fonds. 30 millions de francs y ont transité».

«C'est rédigé à charge»

L'avocat général, qui la semaine dernière rappelait systématiquement les déclarations recueillies lors de l'instruction mais sans insister plus avant, a ce lundi décidé de passer à la vitesse supérieure. L'occasion vient notamment du passage à la barre de l'ancien conseiller diplomatique de Charles Pasqua, Bernard Guillet. Lui se souvient que «Charles Pasqua et Etienne Léandri se connaissaient» effectivement et qu'il a «dîné une seule fois avec les deux». Charles Pasqua dit ne pas se rappeler de cette rencontre qui aurait lieu «un soir d'été agréable, au pré Catelan». Et, suite à la curiosité provoquée par cette première interrogation, Bernard Guillet se montre circonspect : «Je n'ai pas indiqué qu'ils avaient des relations suivies. Je ne l'ai pas indiqué !»

Quand son procès verbal lui est lui, pour confronter ses paroles d'hier avec celles d'aujourd'hui, le témoin a cette saillie : «Je dis que ce n'est pas ce que j'ai dit !». Le diplomate souligne qu'il met quiconque «au défi, dans l'enfer jurdique et judiciaire de résister à Monsieur Courroye au moment de signer son procès verbal». «C'est rédigé à charge», dénonce Bernard Guillet qui poursuit : «La présence d'un avocat ne sert à rien. On lui disait : je vous en prie n'allez pas nous faire perdre du temps. Mes procès verbaux, c'était l'esprit de ce que je disais mais pas la lettre»...

Juste après, une ancienne collaboratrice de Bernard Guillet assure même avoir entendu le juge dire : «Ce qui nous intérresse, c'est Charles Pasqua. On l'aura. Avec ou sans vous». Soupirs du côté de l'estrade du ministère public : «Nous continuons d'instruire le procès de Philippe Courroye», déplore Yves Charpenel.

Mais le ton est nettement plus apaisé en fin de journée quand Henri Guaino, actuel conseiller spécial de Nicolas Sarkozy vient témoigner. Il fut un an durant conseiller technique place Bauveau dans les années Pasqua. Face à la cour de justice de la République, personne ne conteste un double language éventuel d'Henri Guaino. Pour cause : il n'avait pas été entendu lors de l'instruction.

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