lundi 19 avril 2010

Charles Pasqua répond de malversations devant ses pairs

Le Monde | 19.04.10

Longtemps, au Palais de justice de Paris, Charles Pasqua fut une ombre. Juste un nom évoqué au détour d'un certain nombre d'affaires politico-financières, comme le dossier Elf ou ceux des commissions occultes reprochées à son ami et ex-préfet Jean-Charles Marchiani, ou à son fils, Pierre-Philippe Pasqua. Il est ensuite devenu un prévenu, plutôt taiseux, dans deux affaires où il a pris soin de laisser le premier plan à d'autres: il a comparu en 2007 et 2009 aux côtés de six autres personnes dans le dossier du casino d'Annemasse; la même année, il comptait parmi la quarantaine de prévenus de l'Angolagate.

Chacun de ces procès a entraîné sa condamnation. La première, à dix mois d'emprisonnement avec sursis pour financement illégal de sa campagne électorale – une peine devenue définitive depuis le rejet de son pourvoi en cassation – et la seconde, dont il a fait appel, à trois ans de prison dont un an ferme pour trafic d'influence.

Mais plus que les autres, le procès qui s'ouvre lundi 19 avril devant la Cour de justice de la République (CJR) est une blessure. Cette fois, Charles Pasqua comparaît seul et en qualité d'ancien ministre de l'intérieur, cette fonction politique qui, parmi toutes celles qu'il a occupées et occupe encore – il est toujours, à 83 ans, sénateur UMP des Hauts-de-Seine – reste pour l'opinion indissociablement liée à son nom.

Il sait qu'à travers les trois dossiers qui lui valent de comparaître devant ses pairs – la Cour de justice est composée de trois magistrats professionnels et de douze parlementaires –, c'est bien l'usage qu'il a fait de son prestigieux titre et du pouvoir qu'il lui donnait qui va être jugé.

UNE FORME INSTITUTIONNELLE DE "RACKET"

La juxtaposition des affaires, telles qu'elles apparaissent dans le dossier d'instruction, donne aux années 1993-1995 pendant lesquelles M. Pasqua a occupé la Place Beauvau une coloration singulière.

Qu'elles portent sur un agrément d'exploitation de casino accordé à ses amis, sur des commissions occultes versées à l'occasion de l'autorisation de transfert du siège social de GEC-Alsthom ou sur des rétrocommissions de contrats conclus par la Sofremi, une société d'exportation de matériels de sécurité placée sous la tutelle du ministère de l'intérieur, c'est toujours le même mécanisme qui apparaît : celui dans lequel une décision du ministre donne lieu à des versements occultes qui échouent, à travers de multiples sociétés-écrans basées à l'étranger, sur les comptes de ses proches collaborateurs ou de son fils, Pierre-Philippe Pasqua.

Aucun de ces dossiers ne fait apparaître un enrichissement personnel de M. Pasqua. Plutôt une forme institutionnelle de "racket", selon la formule employée par l'ancien PDG d'Alsthom, Pierre Bilger, organisée par des gens qui revendiquaient une familiarité avec le ministre de l'intérieur.

Les distances qu'il a prises tant avec Etienne Leandri, un personnage trouble mort en 1995, omniprésent dans le dossier d'accusation, ou avec Pierre-Joseph Falcone – "le propre d'un intermédiaire de ce genre est de faire croire à des relations qu'il n'a pas toujours", a-t-il expliqué –, comme l'affirmation selon laquelle il n'aurait rien su de ces marchandages n'ont pas convaincu le juge d'instruction : l'arrêt qui le renvoie devant la CJR dans le dossier de la Sofremi souligne que "l'ignorance dans laquelle Charles Pasqua affirme avoir été laissé des opérations financières semble peu vraisemblable". Au contraire, poursuit l'arrêt, "il y a lieu de rechercher dans quelle mesure il a permis à certains de ses proches de bénéficier des fonds détournés".

La piste du financement politique n'est explicitement évoquée que dans le dossier du casino d'Annemasse : les juges ont établi un lien entre l'autorisation accordée d'ouverture du casino et le versement, cinq ans plus tard, de 7,5 millions de francs (1,143 million d'euros) pour la campagne européenne du Rassemblement pour la France de 1999.

Mais elle sous-tend toute l'accusation. Ainsi l'arrêt souligne-t-il que, parmi les raisons avancées à l'intérêt immédiat de Charles Pasqua pour la Sofremi et à sa décision d'y placer, dès sa nomination, de nouveaux dirigeants, figure le fait que cette société servait auparavant de "pompe à finances pour le Parti socialiste".

DEUX ANNÉES QUI NE SONT PAS ANODINES

L'histoire judiciaire s'arrête aux portes de l'histoire politique. Elle en est pourtant indissociable. Car ces deux années – 1993-1995 – ne sont pas anodines. A l'Elysée, un président malade, François Mitterrand, termine son deuxième septennat. A Matignon, Edouard Balladur pense déjà à sa future candidature à l'élection présidentielle, tandis qu'à l'Hôtel de Ville de Paris, Jacques Chirac assiste impuissant à l'hémorragie de ses troupes au profit de son rival.

Parmi ceux qui ont rejoint Edouard Balladur, figurent deux poids lourds de l'organisation chiraquienne : Nicolas Sarkozy, nommé à Bercy, et Charles Pasqua à l'intérieur. Tous ces ingrédients – une fin de règne, des rivalités à droite sur fond d'élection présidentielle avec les immenses besoins de financement qu'elle entraîne et les ambitions personnelles qu'elle suscite – font rarement bon ménage avec la vertu.

Depuis qu'il est poursuivi, Charles Pasqua n'a de cesse de se présenter comme la victime d'un règlement de comptes politique. Par allusion d'abord, puis de plus en plus explicitement, il a désigné un responsable, Jacques Chirac.

A quelques jours de sa comparution devant la Cour, il a renouvelé ses accusations contre l'ancien président de la République : "Ce que je sais, c'est que mes ennuis judiciaires ont commencé en 2000, quand j'ai laissé entendre que je serais peut-être candidat à la présidentielle de 2002. Dès lors, tout a été fait pour m'abattre", déclare-t-il dans un entretien au "Point" du 15 avril.

Pour la dénonciation des faits, M. Pasqua a sans doute raison car il est peu d'affaires politico-judiciaires qui doivent leur révélation au hasard. Mais l'argument est à double tranchant : car pour les faits qui lui sont reprochés, les juges pourraient s'interroger sur la date à laquelle Charles Pasqua a commencé à nourrir une ambition présidentielle, non pour les autres, mais pour lui-même.

Pascale Robert-Diard

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