Libération, 21 avril 2010
Pour Charles Pasqua, la Cour de justice de la République est un observatoire de la fidélité. Les témoins défilent. Certains l’encensent. Des hauts fonctionnaires, des préfets, d’anciens membres de son cabinet. Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, son ancien directeur adjoint de cabinet, vient saluer sa «politique audacieuse». Assis sur son grand fauteuil, le sénateur opine silencieusement. Incline pudiquement les yeux. Mais il grimace quand un contradicteur se présente. Daniel Anceau, par exemple, ex-commandant de police au service des courses et jeux des Renseignements généraux (RG). Un témoin clé, puisque la Cour de justice se penchait, hier, sur l’autorisation donnée par l’ex-ministre de l’Intérieur à l’ouverture du casino d’Annemasse.
Congo. Pendant quinze ans, Anceau avait été chargé du «contrôle». Il avait suivi toutes les étapes de la candidature du groupe conduit par Robert Feliciaggi, pour aboutir à l’autorisation de Pasqua, accusé aujourd’hui de «corruption passive». «Les avis des Courses et jeux ont été négatifs à quatre reprises jusqu’en 1994, se rappelle le commandant. Et subitement, de noir, le dossier est passé à bleu, à blanc bleu, et un avis favorable a été donné.» Les «investisseurs» avaient été suivis de près. Ils étaient présents au casino de Bandol, où on les avait soupçonnés de détournement. Ils avaient des «histoires de malversations» en Espagne, et surtout ils étaient domiciliés à Brazzaville (au Congo), où ils régnaient sur le PMU et les jeux de hasard. «J’ai demandé à l’adjoint des Courses pourquoi ce dossier était devenu positif. Il m’a répondu : "Ça a été fait sur ordre". On sentait bien que le dossier était téléguidé. C’était clair pour tout le monde.» Des autorisations étaient retirées pour des choses bien moins graves, juge-t-il. «Ça ne s’était jamais vu.»
Les mêmes soupçons étaient évoqués à tous les niveaux, y compris devant la Commission des courses et jeux, chargée de l’avis de l’administration. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, alors directeur des libertés publiques au ministère de l’Intérieur, se souvient de l’embarras de ses services. «Sous ma signature, la direction des libertés publiques a toujours dit la même chose, explique-t-il. Nous avons des interrogations sur l’origine des capitaux investis. Il n’y a pas de transparence. Les investisseurs sont domiciliés à Brazzaville, et ils sont liés à Michel Tomi pris en infraction au casino de Bandol, où il était question d’une rétrocession occulte. Il fallait faire preuve de la plus extrême prudence.»
Jean-Marc Sauvé a porté ces appréciations jusqu’au bout. En janvier 1994, un nouveau rapport des RG certifie qu’«il n’y a plus de doutes sur l’honorabilité des postulants». Et Charles Pasqua fait tomber son ordre : «Donner autorisation. CP.»«J’ai reçu des instructions contraires à ma position, conclut Jean-Marc Sauvé. Je les ai exécutées.»
Plus-value. Malgré l’avis négatif de la commission, un avis favorable est donné par Pasqua. Claude Guéant, alors directeur adjoint de cabinet, relaye les directives. «J’ai demandé une instruction rapide de ce dossier», confirme-t-il devant la cour. Guéant certifie au président Henri-Claude Le Gall qu’il n’avait «aucun élément» sur les relations du ministre d’Etat avec les deux investisseurs. Michel Tomi est effectivement un ami de Pasqua.
L’autorisation en main, Robert Feliciaggi va revendre 105 millions de francs l’établissement, déjà construit mais délabré, au groupe détenant le casino de Divonne. Et c’est sur cette plus-value que Tomi, son associé, libérera 7,5 millions de francs pour la campagne européenne de Pasqua en 1999.
mercredi 21 avril 2010
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