lundi 26 avril 2010

Attentat de Karachi : Edouard Balladur va être entendu

Le Monde, 26 avril 2010

Edouard Balladur devrait être prochainement entendu par la mission d'information parlementaire sur l'attentat de Karachi, selon des informations révélées lundi 26 avril par Le Point.

"Edouard Balladur en a pris lui-même l'initiative", a expliqué à l'hebdomadaire le président de la mission, le député UMP Yves Fromion, sans préciser la date de son audition. Le Point rappelle que les élus UMP, majoritaires dans la mission, étaient pourtant hostiles à la convocation de l'ancien premier ministre.

Ce dernier a été mis en cause par des informations révélées par Libération plus tôt dans la journée. Selon le quotidien, la campagne présidentielle d'Edouard Balladur de 1995 aurait été financée notamment par 10 millions de francs (1,52 million d'euros) qui pourraient provenir de commissions versées sur un contrat de vente de sous-marins au Pakistan.

Un contrat apparu au cours de l'enquête sur l'attentat de Karachi du 8 mai 2002, dans lequel quatorze personnes sont mortes, dont onze salariés français de la Direction des constructions navales (DCN).

Selon le quotidien, le 26 avril 1995, l'Association pour le financement de la campagne d'Edouard Balladur a encaissé dans une agence du Crédit du Nord à Paris 10 millions de francs en espèces (1,5 million d'euros), soit près de 20 % de l'ensemble des recettes mentionnées dans les comptes de campagne d'Edouard Balladur.

"Sur le bordereau bancaire, il a été mentionné que l'argent provenait de collectes effectuées lors des meetings électoraux", relève le quotidien, qui s'étonne que "la moitié de ces 10 millions a été apportée en grosses coupures de 500 francs".

Trois fac-similés de documents bancaires prouvant ces versements d'espèces sont consultables sur le site Mediapart.

Interrogé par le site d'actualité, le trésorier de la campagne d'Edouard Balladur, René Galy-Dejean, ancien député et maire du 15e arrondissement de Paris, n'a pas caché sa surprise. "Cela ne me dit rien. Une telle somme, tout de même, je ne l'aurais pas oubliée", a-t-il assuré.

"RIEN NE CORRESPOND À LA VÉRITÉ"

Dans une tribune à paraître mardi dans Le Figaro, l'ancien premier ministre dément avoir bénéficié de ces commissions.

"Dans cette présentation des choses, écrit M. Balladur, rien ne correspond à la vérité, rien n'est étayé par les faits, tout s'appuie pour l'essentiel sur une note émanant d'un agent d'une officine privée de sécurité, note établie en 2002, après l'attentat, et qui amalgame un tissu d'invraisemblances et d'absurdités."

L'ancien premier ministre rappelle ensuite certains faits, affirmant notamment que le financement de sa campagne a été fait "en parfaite transparence".

Il pointe également certaines incohérences dans les accusations qui lui sont faites : "Si véritablement l'attentat de 2002 est dû à la suppression du versement de commissions en 1996, comment expliquer que les mesures de rétorsion qui auraient été prises par leurs bénéficiaires soient intervenues six ans après ? Pourquoi un tel délai ?"

"Je m'en tiens à ce dont je suis certain : je n'ai pris en tant que premier ministre aucune décision d'octroi de commissions ; les comptes de ma campagne présidentielle ont été validés sans réserve, il y a quinze ans, par le Conseil constitutionnel", conclut M. Balladur.

184 MILLIONS DE FRANCS DE COMMISSIONS

Le parquet de Paris a ouvert début février une enquête préliminaire à la suite d'une plainte des familles des victimes de l'attentat de Karachi pour entrave à la justice et pour corruption, notamment contre le club politique présidé par M. Balladur.

L'enquête sur cet attentat a longtemps privilégié la piste Al-Qaida, mais le juge Marc Trévidic l'a réorientée vers l'hypothèse de représailles pakistanaises après l'arrêt des versements de commissions attachées à ce contrat — signé en 1994 et baptisé "Agosta" — décidé par Jacques Chirac après son élection en 1995.

Entre janvier et juin 1995, deux intermédiaires du contrat Agosta pour le versement de ces commissions auraient perçu 184 millions de francs (28 millions d'euros), affirme Libération, qui s'est procuré le contrat Agosta et l'accord entre DCN et Mercor Finance, société off-shore représentant les deux intermédiaires.

Or, selon des témoignages d'anciens de la branche internationale de DCN versés au dossier, ces deux hommes — Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir — ont été imposés en 1994 comme intermédiaires dans le contrat par "le pouvoir politique", en l'occurrence Renaud Donnedieu de Vabres, lequel était à l'époque chargé de mission auprès du ministre de la défense, François Léotard. Tous deux avaient pris parti pour Edouard Balladur face à Jacques Chirac pour la présidentielle.

Selon plusieurs rapports et témoignages versés au dossier, ces commissions, à l'époque légales, pourraient avoir donné lieu à des rétrocommissions illégales mais non prouvées à ce stade.

Les policiers ont trouvé en 2007 à la DCN une note mentionnant l'aval pour la création d'une société off-shore — baptisée "Heine" – et par laquelle transitaient les commissions du contrat Agosta du directeur de cabinet de M. Balladur à Matignon, Nicolas Bazire, et de celui du ministre du budget d'alors, Nicolas Sarkozy.

"DÉCLASSIFIER LES DOCUMENTS"

Pierre Moscovici (PS) a estimé, lundi sur France 2, qu'Edouard Balladur devait "s'expliquer" à la suite des informations parues dans la presse.

Selon lui, le gouvernement doit également "déclassifier les documents qui permettent de savoir ce qui s'est passé, puisque ce sont des commissions officielles". Le député du Doubs juge que le chef de l'Etat est aussi concerné par cette affaire.

"Il ne faut pas oublier que Nicolas Sarkozy, aujourd'hui président de la République, était le directeur de campagne d'Edouard Balladur, a-t-il fait valoir. Donc, il faut que les pouvoirs publics, à commencer par le président de la République, le ministre de la défense, s'expliquent sur ce qui s'est passé."

"En réalité, on a en 1995 une loi récente [sur le financement de la vie politique], elle entre en application pour la première fois. Qu'en est-il à l'époque ? je suis incapable de répondre sur cette question", a affirmé lundi sur LCI le secrétaire d'Etat à la fonction publique, Georges Tron, qui avait participé à la campagne présidentielle de l'ancien premier ministre.

"Ce que je sais en revanche c'est que maintenant il y a une loi précise qui codifie les campagnes pour le futur, il y a des modes de campagne qui sont différents et donc par définition on ne pourra plus être dans ce type d'interrogations", a-t-il assuré.

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