Devant la Cour de justice, Pasqua ne lâche rien

Libération, 23 avril 2010

L'ancien ministre, jugé depuis lundi pour son rôle dans des affaires de malversation, cherche à démontrer que des personnes de son entourage se sont servies de son nom pour obtenir des faveurs financières. Retour sur la première semaine de procès.

Un Charles Pasqua corrupteur ou un ministre victime de son entourage? La première semaine d’audience devant la cour de justice de la République (CJR) n’a pas permis de trancher entre ces deux thèses concernant ce prévenu hors du commun.

L’ancien ministre de l’Intérieur a parfois les yeux mi-clos sur le large fauteuil où, depuis lundi, il suit les débats cherchant à faire la lumière sur son rôle dans trois affaires de malversations financières. Mais Charles Pasqua, 83 ans, ne perd pas une miette des déclarations des témoins qui défilent à la barre - hauts fonctionnaires, anciens collaborateurs, grands patrons, intermédiaires douteux.

Systématiquement se répète le même scénario, insolite devant un tribunal: le prévenu se lève, s’empare du micro et se livre à un interrogatoire en règle du témoin. Justiciable peu ordinaire, le sénateur lui-même est rarement interrogé par les quinze juges. En animateur de son propre procès, il sonde lui-même la mémoire de ses interlocuteurs. Ainsi à Bernard Dubois, ancien PDG de la Sofremi, une société dépendant de la Place Beauvau:

- «Je vous ai dit que vous ne devriez accepter aucune recommandation de personnes se réclamant de moi-même ou de mon cabinet, vous vous en souvenez ?

- Oui

- Bien.»

«Ca me renverse !»

Face à Pierre Bilger, ancien PDG de GEC-Alsthom, l’élu s’autorise une petite leçon de morale: «Que vous ayez pu penser une seule minute que payer permettrait d’obtenir une décision administrative, ça me renverse !»

Le but de Pasqua: montrer que des personnes indélicates, parfois de son propre entourage, se sont servies de son nom pour obtenir des faveurs financières et faire ressortir que l’instruction s’est déroulée à charge dans le but de la salir.

Au cours de la première semaine d’audience, cette thèse a trouvé le soutien inattendu de plusieurs témoins qui se sont montrés beaucoup moins affirmatifs qu’autrefois sur l’implication de Charles Pasqua. Ces témoins ont généralement été compromis dans les mêmes affaires de malversations et condamnés par des juridictions de droit commun, la CJR ne jugeant que des délits commis par des ministres dans l’exercice de leurs fonctions.

«On veut que vous nous donniez M. Pasqua»
La défense avance une explication à leur revirement: ils ont aujourd’hui retrouvé leur liberté d’expression car ils ne sont plus sous la menace d’une condamnation pénale ni sous la pression de magistrats instructeurs et d’enquêteurs qui veulent compromettre Pasqua.

L’ancien PDG de la Sofremi a affirmé s’être vu intimer lors de sa garde à vue: «On veut que vous nous donniez M. Pasqua.»

Des sources judiciaires avancent une autre lecture: celle d’une répugnance des témoins à raviver d’anciennes histoires et à mettre en cause le ministre devant une juridiction où il encourt dix ans de prison.

Charles Pasqua est poursuivi pour «corruption passive» ainsi que «complicité d’abus de biens sociaux et de recel». Dans trois dossiers, il est soupçonné d’avoir usé de ses fonctions ministérielles pour octroyer des avantages financiers à ses proches, dont son fils Pierre-Philippe Pasqua. En toile de fond, selon l’accusation, le financement des activités politiques du ministre.

Jeudi, à l’issue des premières journées de procès, le sénateur des Hauts-de-Seine s’est dit satisfait de la tournure des débats, estimant que son rôle dans les différentes affaires avait été «clarifié»... Pas au point de rendre superflue une seconde semaine d’audience où sont notamment attendus les témoignages de Pierre-Philippe Pasqua et de l’homme d’affaires Pierre Falcone.

Les réquisitions seront prononcées jeudi et le verdict rendu vendredi.