Après avoir condamné Charles Pasqua à un an de prison avec sursis, vendredi 30 avril 2010, sans doute faudra-t-il que les douze juges parlementaires qui, aux côtés de trois magistrats professionnels composant la Cour de justice de la République, s'interrogent sur l'utilité de cette procédure particulière qui les fait juges d'un de leurs pairs.
Le procès de l'ancien ministre de l'intérieur laisse en effet un curieux sentiment d'inachevé. Comme si, devant cette juridiction d'exception, tout avait été très - trop - ordinaire. Cela tient paradoxalement à Charles Pasqua lui-même.
L'ancien résistant, le gaulliste historique, le combattant souverainiste, l'homme qui a incarné presque jusqu'à la caricature la fonction de ministre de l'intérieur avec sa puissance et ses secrets, a choisi de faire porter par ses collaborateurs le poids de tous les maux dont on l'accuse - des "faisans", a-t-il dit, qui ont "trahi (sa) confiance" et "se sont servis de (son) nom".
Il a ainsi privilégié la seule ligne de défense susceptible de lui valoir une relaxe puisqu'il ne se reconnaît ni coupable ni responsable. "Je ne regrette rien de ce que j'ai fait et si c'était à refaire, je le referais", a-t-il assuré. Mais il a pris un risque : celui de brouiller son image de grand personnage de la vie politique française en cherchant à se métamorphoser en "gogo" pour les besoins de sa cause judiciaire.
Il a du même coup fermé la porte à l'autre débat qui aurait pu interpeller ses pairs : celui d'un ministre qui, tout en protestant de son innocence, assume sa part de responsabilité dans les comportements défaillants de collaborateurs qu'il a choisis et nommés à des places stratégiques. Là était le seul enjeu qui pouvait justifier de confier son sort à des juges majoritairement politiques. Ce rôle, Charles Pasqua le leur a refusé, en leur présentant des arguments dont on aurait pu entendre l'écho en poussant la porte de n'importe quelle chambre de tribunal correctionnel.
Il a dès lors ouvert un boulevard inespéré à l'accusation. L'avocat général Yves Charpenel ne s'y est pas trompé. Avant de requérir contre lui, jeudi 29 avril, quatre ans d'emprisonnement dont deux ferme, 200 000 euros d'amende et la suppression de ses droits électifs, il a interpellé les juges : "Si vous pouvez croire que Charles Pasqua, ministre de l'intérieur pour la seconde fois, entouré de collaborateurs fidèles et éprouvés, a pu à ce point ignorer ce qui se passait dans son ministère et ce que faisaient, en son nom, ses proches, alors naturellement vous pourrez vous convaincre que le seul délit commis est celui de la naïveté ou de l'incompétence, et vous le relaxerez".
"GUET-APENS JUDICIAIRE"
Mais, a-t-il poursuivi, "personne ne peut raisonnablement croire à l'extrême naïveté de cet homme face à la cupidité de ses proches, à son extrême indifférence aux devenirs de son fils et de ses amis, à son extrême éloignement du fonctionnement de son propre cabinet, des services de son ministère, enfin à son extrême incapacité à s'intéresser au financement de ses activités politiques".
L'accusation a donc soutenu la thèse selon laquelle, pendant ces deux années, de 1993 à 1995, où l'homme fort de la Place Beauvau, gagné "par le désir de mener une action publique sous sa seule maîtrise et à la recherche d'une autonomie financière" n'a pas su "résister aux opportunités que ses fonctions lui offraient de favoriser ceux qui lui étaient chers" et a "perdu de vue les limites de la probité publique", quand bien même les affaires qui lui sont reprochées "ne montrent aucune âpreté personnelle au gain, aucune volonté d'enrichissement crapuleux".
En présentant aux juges de la Cour de justice de la République cette seule alternative – croire à la naïveté et à l'incompétence de Charles Pasqua ou le reconnaître responsable de corruption et de recel d'abus de biens sociaux, l'avocat général a masqué les faiblesses du dossier d'accusation qui, comme il l'a reconnu, ne comporte pas de preuve absolue de la culpabilité de l'ancien ministre, mais repose sur un "faisceau d'indices".
Ce piège, la défense de M. Pasqua s'est efforcée d'en écarter les griffes. Tour à tour, Mes Jacqueline Laffont, Pierre Haïk et Léon-Lev Forster ont souligné que Charles Pasqua était tombé dans un véritable "guet-apens judiciaire" destiné à l'abattre. Mais en exhortant les juges à "se débarrasser des rumeurs et des a priori", ils ont surtout plaidé le doute qui doit bénéficier à un prévenu, au fond, très ordinaire.
Pascale Robert-Diard
vendredi 30 avril 2010
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