mercredi 21 avril 2010

La garde des sceaux renonce à modifier la prescription des abus de biens sociaux

Le Monde, 21 avril 2010

La Cour de cassation avait, le 16 avril 2010, manifesté une opposition résolue à ce projet

Michèle Alliot-Marie a compris le message. Un week-end de réflexion a suffi pour que la garde des sceaux annonce qu'elle renonçait à modifier le régime de la prescription du délit d'abus de biens sociaux tel qu'il figure dans l'avant-projet de réforme de la procédure pénale.

Dans un entretien accordé, mardi 20 avril au Figaro, la ministre de la justice déclare qu'elle va « revoir le texte pour proposer de consacrer dans la loi ce qui est aujourd'hui la jurisprudence, c'est-à-dire que la prescription commence à partir de la découverte des faits et non de leur commission ».

Mme Alliot-Marie affirme « avoir été convaincue par certains arguments », notamment ceux des « associations de victimes de l'amiante (...) qui craignaient (...) de ne plus pouvoir initier des procédures de santé publique ». Elle se garde de rappeler l'avis rendu, vendredi 16 avril, par la Cour de cassation.

Sollicité sur le projet de réforme, les magistrats du siège et du parquet de la haute juridiction avaient manifesté une opposition résolue au projet de modification du régime de prescription des délits en soulignant qu' « il serait contraire aux impératifs de lutte contre la grande délinquance ».

La question du délai de prescription des abus de biens sociaux ou des abus de confiance, des infractions au coeur des affaires financières, constitue un chiffon rouge depuis plusieurs années.

La particularité de ces délits étant qu'ils sont dissimulés, la Cour de cassation a imposé une jurisprudence qui fait courir le délai de prescription de trois ans à partir de la date des révélations des faits, et non de la date où ils ont été commis.

C'est en s'appuyant sur cette jurisprudence constante que des juges financiers ont pu mener à terme des affaires en enquêtant sur des faits parfois anciens.

Lobbys

A chaque retour de la droite au pouvoir, la question du changement de ce régime de prescription est revenue sur la table, portée par de puissants lobbys.

En 1995, le président (RPR) de la commission des lois Pierre Mazeaud s'était dévoué pour déposer une proposition de loi qui fixait à six ans le délai de prescription afin de « lever cette épée de Damoclès qui pèse indéfiniment » sur les personnes soupçonnées d'abus de biens sociaux.

Son initiative suscitant un tollé de la part des magistrats financiers, le premier ministre de l'époque, Alain Juppé, avait lâché le député, face à l'accusation de vouloir amnistier les affaires de corruption.

Trois mois plus tard, un autre député, Xavier de Roux (UDF) déposait une nouvelle proposition de loi sans obtenir son inscription à l'ordre du jour du Parlement.

Les groupes de pression avaient alors mis leurs espoirs dans le sénateur (RPR) Philippe Marini qui, dans un rapport remis au premier ministre en 1996, suggérait un toilettage complet du droit des sociétés, dont celui de l'abus de biens sociaux. En vain. Là encore, le gouvernement avait reculé.

L'affaire du délai de prescription continuait cependant à hanter les élus soucieux de s'attirer les bonnes grâces du patronat.

En 2001, dans son livre Libre, Nicolas Sarkozy lançait « un appel au bons sens, mâtiné d'un peu de courage », pour « harmoniser » la prescription de l'abus de biens sociaux avec celle des autres délits.

L'offensive reprenait dès la réélection de Jacques Chirac en 2002. A l'occasion du débat sur le projet de loi d'amnistie de juillet 2002, son rapporteur Michel Hunault (UMP-RPR) avait annoncé que la majorité « n'échapperait pas » à ce débat. Face au nouveau tollé provoqué, le garde des sceaux, Dominique Perben, s'était vu contraint de démentir les propos du député.

La dernière offensive était donc celle de Michèle Alliot-Marie. Pour la rendre plus présentable, le gouvernement proposait d'allonger de trois à six ans les délais de prescription des délits passibles d'au moins cinq ans de prison, parmi lesquels ceux de banqueroute, corruption, escroquerie, faux et usage de faux.

« Nous ne cherchons pas à enterrer les affaires », assurait Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la justice.

Affaibli par des résultats désastreux aux élections régionales et contredit par la Cour de cassation, le gouvernement, une fois de plus, a préféré jeter l'éponge. Jusqu'à la prochaine tentative ?

Pascale Robert-Diard

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